Depuis plusieurs jours, [je ne fais pas grand chose] je regarde en boucle des vidéos de simulations numériques 3D d’explosions de supernovae. Mon éditeur m’ayant encouragée à faire du sensationnel dans ce genre d’événements, à emmener les descriptions dans la science-fiction et dans l’emphase, j’observe d’un œil placide le résultat de ces centaines de millions d’heures CPU de calculs. L’asymétrie évidente. Les morceaux de nickel qui volent à des milliers de kilomètres par seconde. La turbulence comme un bouillonnement fou. Les doigts de Rayleigh-Taylor. Est-ce que j’ai envie de faire du sensationnel de phénomènes hydrodynamiques certes violents, mais si complexes qu’il faut les manipuler, les comprendre, les toucher avec doigté ? Il est vrai qu’on parle de simulations numériques « massives », mais elles reposent sur de telles finesses d’implémentation, la danse des particules test entre les grilles de fluides, il n’y a de massif que le poids des cœurs sur lesquels les calculs ont été lancés.
À force de naviguer de vidéo en vidéo, Youtube me fait atterrir sur un clip en images de synthèse qui compare l’ampleur de différentes explosions. Explosions de bombes humaines, j’entends. Ça commence par un pétard dans l’herbe. Puis on passe à la mine anti-personnelle. À chaque fois, on recule d’une certaine distance, et la hauteur est indiquée à côté de la fumée qui s’élève, avec des arbres (Tomahawk), la tour Eiffel (MOAB), l’Everest en comparaison. À ce point du film, on venait de passer Littleboy (Hiroshima) et Fat Man (Nagasaki) ; j’avais ce mélange de nausée et d’engourdissement qui me grimpait dans l’échine. Castle Bravo s’élève à 30 km. L’image n’a même plus aucun sens, composant un horizon marin plat, un ciel bleu parfait, sur lequel s’élève le champignon, avec Phobos, la lune de mars juxtaposée. Tsar Bomba : 60 km.
Je n’ai pas osé aller lire les commentaires sous la vidéo. Dans le brouillard d’atterrement, cette pensée : je ne ferai pas dans le sensationnel. Je voudrais qu’on laisse les supernovae en paix, intouchées, dans leur beauté violente et déconnectée de la crasse humaine. Je voudrais qu’on laisse les explosions se dérouler dans le milieu interstellaire, au-delà de centaines d’années-lumière, qu’elles nous envoient des flash colorés qui nous fassent inventer des légendes. Des neutrinos et des ondes gravitationnelles à overdose, qui n’affecteront l’humanité qu’en enrichissant sa Science.