Nous fuyons la ferme transformée en Disneyland boueux pour le week-end (tours en tracteur, tunnel de foin, corn maze, toutes d’excellentes idées s’il n’y avait pas une queue monstrueuse d’américain.e.s habillé.e.s en jogging avec leur marmaille hurlante, et une odeur à vomir de baraque à frites).
Nous roulons dans la forêt : toujours ce curieux contraste entre le gris intemporel et les colonnes de couleurs vives qui vont vers le ciel. Au son de Sufjan Stevens, je songe –
à N.おばあちゃん. Qui flotte autour de moi, dans l’espace et le temps, puisqu’elle n’a plus à obéir à la physique quantique. J’ai eu la chance de grandir portée par ces certitudes-là. Ces personnes qui sont certaines, quoi que vous fassiez, que vous êtes la plus formidable, que vous ferez le plus beau métier du monde, que votre mari est parfait et vos enfants magnifiques. Cette personne qui vous a toujours dit : « Tu es ma première petite fille, » avec une telle fierté dans le regard. Ça aide, n’est-ce pas, ensuite, à être une fille de fromagers et obtenir tout ce que je veux.
Dans les chemins forestiers, je dis à A. une phrase très simple, et il partage ma peine, la transforme en ses larmes. Il est surprenant, épuisant, horripilant, et surprenant, si intense et émouvant. Surprenant encore, ce soir, lorsqu’il se met au piano avec son cahier où il a noté quelques phrases musicales. Quand il les joue, il est au désespoir : « Je n’arrive plus à composer quelque chose de beau. »
Je lui dis toutes les banalités qui me passent par l’esprit : la création, l’inspiration, ça ne se commande pas, ça va, ça vient. Mais il faut toujours garder de la place pour qu’elle puisse surgir, se rendre disponible pour ce moment. C’est beaucoup de joie et aussi de la souffrance. Mais ton envie de partage, ton envie de sortir ces choses qui t’habitent, c’est ça qui te rend spécial et artiste.
Il y a ces 5% de ma vie maternelle où je suis persuadée que je ne me suis pas trompée.
Bande originale : Sufjan Stevens, Death with Dignity, in Carrie and Lowell, 2015.