Merrlow-Pauntee

Dans mon café bobo, je discute au téléphone avec ma belle A., qui me parle de sa crise de la quarantaine et des derniers épisodes de sa tentative de fuite. –tout en essayant de compiler un code en C++, en suivant les instructions brillantes d’un ingé soft qui me débugge tout ça en live depuis Paris (parfois, il faut croire que les dieux se personnifient en ingés soft).

Le téléphone raccroché, le code compilé, le matcha latte bu, le type à côté de moi m’alpague : « Pardon, vous êtes française ? » [en français-avec-accent-américain dans le texte]

Je suis toujours prête à me laisser séduire par converser avec des beaux gosses tenured professor en philosophie à mon université d’accueil, qui ont vécu un peu à Paris, et dont les recherches portent sur … les philosophes français du début du 20ème siècle et en particulier Merleau-Ponty.

Il dit tous les mots-clés : existentialism, Les temps modernes… Le cœur battant, je me dis mon Dieu, me voici dans un nouveau roman, après en avoir reçu un ce matin au courrier, comme tout cela est palpitant !

À peine contenue, je lui balance : « Alors vous connaissez Sartre ! Vous avez lu ses pièces, j’imagine ? » Mais lui : « Non, malheureusement, je n’ai pas vraiment lu Sartre, juste vite fait son essai L’existentialisme est un humanisme, dans sa traduction anglaise… »

J’entends la chute fracassante des livres autour de moi, comme un saccage de la petite librairie de Funny Face, toute une bibliothèque qui s’effondre sur ma tête. Je garde ma composition, mon sourire, je crois qu’il me tend son prénom, s’apprête à me demander mon numéro, mais je n’entends plus rien, parce qu’à quoi bon la suite, franchement. Faire de la recherche sur Merleau-Ponty et ne pas avoir lu Sartre ? WTF ? Je suis tellement déçue de l’humanité qu’il me faut lire et annoter une bonne cinquantaine de pages de manuscrit de thèse sur des émissions multi-messagers de supernovae avant de m’en remettre.

Funny Face, avec Fred Astaire & Audrey Hepburn, 1957