La veille de partir, je suis une loque. J’ai mal au crâne, une chape sur les yeux, l’angoisse nauséeuse des horreurs arrivées à d’autres, l’anxiété des frictions dans la collaboration G., une panoplie d’excuses pour traîner dans mon lit, et fuir dans des sommeils visqueux.
Je me disais que j’étais rattrapée par une année et demie à ne pas dormir, ou alors que j’avais fini par choper quelque chose – covid ? grippe ? Ce n’est que plus tard, quand ça s’est soudainement levé, que j’ai compris. C’est toujours le même schéma [voir ici, là] depuis que j’ai quitté cette ville. Quand je m’y rends à nouveau, j’ai une peur sourde de l’avoir perdue. Que la ville m’ait oubliée dans son évolution – et moi dans la mienne. Je m’en rends malade.
J’atterris à Chicago dans le plus grand désordre. Je converse sur quatre fils à la fois, de science, de stratégie, de vie ; j’essaie de suivre sur mon smartphone la messe mensuelle de ma collaboration G., où plein de résultats formidables sont présentés, j’ai deux réunions qui s’entre-choquent que je dois tenir dans le train depuis l’aéroport.
Mes retrouvailles avec Chicago ont la tournure que je craignais : j’ai le sentiment de passer à côté de tout. Dans la Blue Line vers Downtown, j’essaie de trier cet inconfort, de ne pas me formaliser des frustrations du travail, de tirer encore quelque chose de ce moment.
À Jackson, j’émerge du sous-terrain de la Blue Line.
Et Chicago me happe et m’arrache la tête.