Workshop [1] : La folie physicienne

Traces de particles dans une chambre à bulle #3, © CERN

Il faudra qu’un jour je comprenne ce qui nous anime, nous physiciens, à faire de la physique. Je crois qu’in fine, il s’agit de cette envie de résoudre le puzzle – que notre esprit ne se satisfait pas de ne pas avoir trouvé la solution à une énigme qui nous est posée, qu’il tourne en boucle autour de la question, et que les petites résolutions successives sont autant de dopamine addictive. Encore, encore ! disent nos neurones en manque. Et c’est cela qui fait que le regard s’allume et que nous nous enflammons n’importe où, n’importe quand, même (surtout) quand nous sommes en train d’échanger des banalités. Et que nous passons pour les tarés – que nous sommes.

« Je suis originaire du Connecticut, un État qui est vu comme une banlieue de…
— Attends, quel est le facteur qu’on gagne à basse énergie en allant à basse altitude avec les antennes phasées ? [Yeux allumés, question, espoir.]
— Je dirais un facteur « quelques », peut-être même un ordre de grandeur. Mais le problème, c’est toujours la probabilité de sortie du tau. [Switch total accepté, bouton expertise allumé, challenge, intérêt.]
— Oui, c’est ça. C’est ça qui nous pourrit la vie. [Main gauche au front, souffrance, mais espoir, où est la dopamine ?]
— Il faut vérifier ça proprement quand même. [Espoir, challenge, question.]
— Oui, il faut vérifier. » [Toujours main au front, mais espoir, roulis des yeux et des neurones, un truc qui tourne en boucle et tournera en boucle des heures, des jours, des mois, tant que non résolu.]

Le puzzle irrésolu fait irruption n’importe où. Au bar. Sous la couette. Au petit-déjeuner avec ses enfants. Dans la rue en glissant sur le verglas. En conduisant et se trompant de route. En discutant avec sa femme/son mari de quelque chose d’important. Sous la douche. Et lors de cette irruption, il faut s’y adonner, s’y perdre, parce qu’il y a peut-être une résolution qui point. Sans. Attendre.

C’est très différent, me disais-je, de la folie de l’écrivain. Folie du physicien. Comment m’imaginais-je même un seul instant m’en sortir ? Entre les deux, je n’ai absolument aucune chance.