Madison, Wisconsin

Pourquoi suis-je venue à Madison, déjà ? Pour passer une journée dans le bâtiment de physique à parler à quelques collègues sans résonance particulière ? Pour me réveiller à 5h du matin et manquer de vomir en lisant un mail de trois pages ? Pour passer l’aube dans des calls à m’enfoncer dans d’autres problèmes, sous la lampe Tiffany de ma chambre d’hôtel ? Pour marcher dans la tempête de neige, les doigts gelés sur mon cappuccino avec l’envie de pleurer ? Pour perdre un samedi en transit à l’aéroport de Chicago, et passer des appels pro urgents dans le brouhaha ambiant des annonces de portes d’embarquement ? Nous échangeons factuellement rapidement avec O., mais je me tais sur mes états d’âme – il a bien d’autres choses à gérer, et c’est ainsi que notre relation fonctionne de façon si saine.

J’imagine que je suis venue à Madison pour découvrir, entre deux rendez-vous, les jolis chiffres d’un vote lointain, à Paris, qui tracent des rails sur mon avenir pour les cinq prochaines années.

Des messages aimables pleuvent dans ma boîte et tout cela me touche. Mais c’est étrange, le décalage temporel et spatial dans lequel je me trouve. Rien n’a de corps et j’échange à peine avec mes collègues, dans des fils ténus et virtuels. Parfois je me demande si j’existe vraiment, si cela est une fable, un conte que j’ai inventé dans ma tête, comme ce chapitre dans lequel je me suis réfugiée. Et probablement, c’est bien aussi, de temps en temps, de perdre corps, pied, tête, de ne plus vraiment exister.

La tempête de neige commence tout juste, à Madison, Wisconsin, mars 2024