Si Chicago sentait la deep dish pizza, San Francisco sent la pisse, la beuh et la crasse. Le matin, je fais de la bureaucratie dans un café branché à Mission District, entourée d’oeuvres natives-street-art étranges. L’après-midi, je manque de vomir dans des bus qui cahotent jusqu’à la baie, et je me hisse tout en haut du Presidio pour écrire une demande de financement avec vue sur le Golden Gate Bridge. La serveuse appelle : « Electra ! » quand mon matcha latte est prêt, et cette touche heureusement me ramène à ces pages.
Je me souviens maintenant que je n’avais jamais compris cette ville. J’aime par ici la côte tendue de landes vertes battues par le vent, le Pacifique si froid, les éléphants de mer et leur aboiements rauques. J’aime le souvenir de ces premiers pas de tango au bras d’une belle italienne, dans le mouvement cathartique des vagues (juin 2009). Celui des huîtres à Point Reyes avec P., portée par cette joie immense, formidable, indescriptible, d’avoir décroché un poste au CNRS (avril 2011).
Mais cette ville. Cette chose si fausse, comme les gens, cette illusion californienne de richesse et de joliesse. Des jouets pour enfants : les maisons de poupée qui ne sont que façades, des tramways en bois laqué bondés de touristes, un pont rouge sous lequel passent d’énormes containers venant de Chine et des bateaux militaires. Et dans les rues cette odeur de pisse et des hommes édentés, hagards, qui errent d’immeuble désuet en boutique mal famée. Décidément, quelque chose ne colle pas entre la Californie et moi.