Chiant à mourir

J’écris à mon éditeur [qui fait le mort, il doit boucler urgemment un livre sur la physique olympique, me dit-il, et je me retiens de lui répondre : je ne comprends pas tes priorités] : « Voilà, il me reste juste le final, et avant de m’y attaquer, je vais d’abord prendre un moment pour resserrer les boulons sur l’ensemble. »

Religieusement, j’imprime mes pages sur l’imprimante de l’université [j’espère que les étudiants qui paient des frais faramineux me pardonneront cet abus]. Religieusement, je récupère le paquet de feuilles, et je trouve avec une petite émotion, que ça fait de la masse. Religieusement, je m’installe sur l’îlot de bois de ma cuisine, un crayon bien taillé entre les doigts. J’entame le texte en me disant qu’il faut être détachée et critique.

Et c’est l’horreur intégrale. C’est tellement ennuyeux que je n’arrive même pas à me relire. Mais qui va lire ces tartines techniques et dégoulinantes ? J’ai toujours trouvé les livres de vulgarisation chiants à mourir. Je me rappelle pourquoi j’avais toujours refusé d’en écrire un. Mais mon Dieu je suis en train d’en terminer un. Quelle pollution pour la littérature, pour les rayons de librairies, pour les collections de cette maison d’édition ! Il faut me rendre à l’évidence : je suis en train d’écrire un livre chiant à mourir.

Note 1 : Est-ce que ça me met à un rang proche de Proust ?
Note 2 : Est-ce que Proust est en train de se retourner dans sa tombe de l’insultante comparaison ?
Note 3 : Est-ce que des gens vont lire la partie scientifique chiantissime en se disant, comme moi à l’adolescence, quand je lisais et ne comprenais rien à Stephen Hawking, « hmm hmm je me sens très intelligent en lisant ce truc chiant » ?
Note 4 : Est-ce que Hawking est en train de se retourner dans sa tombe de l’insultante comparaison ?

Philippe Geluck, dans “Geluck pète les plombs”, 2018