Un pur produit de l’Éducation Nationale

En recherchant dans ce carnet mon billet sur la Symphonie #6 de Sibelius, je constate avec amusement que j’y fais référence à Faust. Et encore plus amusant, le billet qui suit évoque cette scène parisienne de Woody Allen. J’écris à un ami cher, avec force émoticons de facepalm, que décidément, je n’ai pas évolué depuis treize ans. Pire : ce sont en réalité des découvertes de mes années lycée, ce qui étire ma stagnation culturelle sur quelques vingt-cinq ans.

En vérité, je crois que je dois ma (maigre) appréhension du monde à ces années lycée. Je ne sais pas qui était aux manettes pour dessiner le programme de Lettres et d’Histoire en 1997-2000, mais, mis à part cette erreur grossière de nous imposer Les confessions de Rousseau au bac de français*, c’était magistral. Tout se complétait et se parlait : Electre et l’entre deux guerres en Histoire, Lili Marleen ou les tableaux d’Otto Dix dans les cours d’Allemand, Hemingway et tous les auteurs de la crise de 29 dans nos six heures hebdomadaires de littérature anglo-américaine… J’ai dû lire un livre par semaine à cette époque, tous les mercredis soirs il y avait la diffusion d’un vieux film classique sur Arte, et j’écrivais mes dix pages de commentaires composés en écoutant France Musique.

J’avais quarante-cinq heures de cours par semaine, et je me plaignais de bleuir sans cesse des copies, ma bosse d’écriture sur le majeur droit avait la peau qui pelait, et puis tous les jours, dix fois par jour, je passais d’un état de résonance ultime à une envie de mourir. Mais bon sang que c’était sublime et nécessaire. Oui, nécessaire. Car avec le recul, c’est exactement là que je me suis définie. Tout le reste n’a été qu’incrémentations.

Au final, je ne sais pas si j’étais d’emblée sensible aux colorations variées de cette longue période qui s’étend depuis la fin du 19ème jusque vers 1970, ou si l’Éducation Nationale m’a juste endoctrinée à un moment où j’étais la plus réceptive. Probablement un peu des deux. Enfin, l’« endoctrinement », ça a été justement de penser par nous-mêmes. Je trouve extraordinaire l’enseignement que nous avons reçu sur cette émancipation de l’esprit : d’être aussi profondément nourris, d’ingurgiter tant, pour pouvoir ensuite avoir des outils pour mieux penser et discuter notre monde. Comme on apprend à peindre de façon classique avant de se lancer dans l’abstraction, j’ai eu le sentiment qu’on nous a bourré le crâne pendant longtemps, mais que c’était pour une bonne cause, parce qu’à l’âge où nous avons commencé à en être capables, on nous a appris à croiser tout cela, à critiquer, à adopter ou rejeter, à comprendre les courants, la complexité et la beauté. Pour devenir ces personnes qui agissent, débattent et créent maintenant au cœur de la société. (Ou qui font de la socio-analyse rétrospective de comptoir baveuse dans des carnets en ligne…)

*Pardon, mais aucune chance que des lycéens de 16 ans s’identifient ou trouvent un quelconque intérêt aux réflexions dégoulinantes d’un narcissique mégalo qui revisite sa petite enfance au 18ème siècle. Et il n’y avait aucune connexion possible avec les autres matières étudiées en Première. Il y a tant d’autres grandes œuvres qui pouvaient vibrer avec nos préoccupations de l’époque ou celles à venir, qu’il pouvait être utile d’avoir explorées une première fois. Là, c’était à mon sens une erreur de casting.

Horloge solaire 1673 de l’escalier principal du Lycée Stendhal à Grenoble, ancien collège de Jésuites, que nous montions et dévalions huit fois par jour. Nous la regardions à peine au bout de trois ans, mais il est évident que le bâtiment participait au sentiment du Savoir. © Laurent Ravier

Sibelius dans la forêt enneigée

Il a neigé vingt heures d’affilée, et au matin le silence. Les enfants poussent des cris de chiots quand je leur propose d’enfiler leurs combinaisons. Je dégage la voiture ensevelie. À dix minutes de route, on enfonce nos bottes sur les traces d’une petite rivière. Il n’y a personne. Sous la neige, il m’apparaît soudain clairement à quel point la forêt pennsylvanienne est différente des européennes. L’implantation ? La verticalité des arbres ? La couleur de leurs troncs et des feuillages persistants au vert percutant ?

Sur le chemin du retour, comme nous sommes seuls et que le paysage l’appelle, je dégaine le quatrième mouvement de la Symphonie No. 6 de Sibelius. J’en fais profiter les animaux féeriques et la flore au repos. Et mes enfants.

Juste avant la cinquième minute, je m’arrête de marcher. Le son de l’eau. La forêt habillée. Le froid au bout des orteils. Quand la harpe surgit, pendant quelques secondes, il n’y a plus qu’une noyade parmi les particules de l’Univers. Et en rouvrant les paupières, la larme au coin de celle de A.

Dans l’après-midi, je sirote mon Earl Grey, je remplis des fiches Excel, et j’écoute perler les notes de piano, le rythme de l’eau goutte à goutte et le sentiment de blanc nostalgique : A. compose son morceau de l’hiver.

[C’est donc pour ça que j’ai fait des enfants – pour résonner ensemble la première fois que je pleure en lisant Electre, et la première fois que j’écoute Sibelius dans la forêt silencieuse, au lendemain de la tempête de neige.]

Son : Jean Sibelius, Symphony No. 6 in D minor, Op. 104: 4. Allegro molto, Wiener Philharmoniker dirigé par Lorin Maazel, 1991.

Forêt pennsylvanienne, janvier 2024 © Electre

Beautés cathédrales

Ce chapitre Chandra me donnera du fil à retordre jusqu’au bout. C’est la troisième fois que je le re-travaille, et j’en ai plus qu’assez d’avoir le mal de mer sur son bateau de l’Inde vers Cambridge, et de devoir trouver une façon moins « pédestre » (sic mon éditeur) d’expliquer la physique de la fin de vie des étoiles. J’acquiesce parce qu’il sait [et parce qu’avec son regard bleu brillant, intelligent et envoûtant, il réussirait à me convaincre de parler d’astrologie]. Il n’empêche que j’avais envie de lui répondre : ici, la physique monumentale se suffit à elle-même, pas besoin de mon « lyrisme » (re-sic) ou d’envolées imagées artificielles. Quoi de plus bouleversant que ces séries d’effondrements de cœurs stellaires où la gravité est contrebalancée par des forces concoctées par des cerveaux de théoriciens tarés et géniaux ? Cela m’émeut toujours, cette cathédrale de la science, bâtie pierre par pierre au fil des siècles et des esprits, comme un relai infini de l’Humanité. Et lorsqu’une bizarrerie développée et expérimentée dans des laboratoires terrestres trouve un écho confirmatoire aux confins de l’Univers, c’est là, à mon sens qu’est la beauté de notre métier. Et puis l’incongruité de ces forces : des électrons et des neutrons qui ne supportent pas d’être à touche-touche et se repoussent… et dans cette impossible cohabitation donnent naissance à des naines blanches ou des étoiles à neutrons !

Parfois, je me dis que je fais fausse route dans ce livre, car la véritable vibration dans tout cela est à trouver dans la dérivation des équations. Dans le cours de physique statistique que je dispense en École, il y a chaque année ce moment : quand j’ai les mains pleines de craie (et mon jean, et le col de mon chemisier), et au bout d’une heure quarante-cinq, le tableau noir rempli et effacé dix fois, après avoir expliqué et testé les erreurs historiques, les hypothèses à revisiter, quand j’encadre l’expression de MC. Ce moment où j’annonce sans prétention, d’une voix que je tente de garder posée et professorale : « Et voici la masse de Chandrasekhar. »

Posée et professorale, alors qu’à l’intérieur, c’est un petit morcellement. Ça fait vingt fois que je l’effectue, ce calcul, et à chaque fois, l’éblouissement. Je ne sais pas contenir mes enthousiasmes et ça finit toujours par suinter par les jointures – et l’extrême plaisir, chaque année, de voir plusieurs regards s’allumer en réponse, ceux qui ont peut-être vibré un peu avec moi dans cette quintessence scientifique.

Alors que je déambule entre les arc-boutants de la Cathédrale en éternelle construction, dans ce carnet, dans mon livre, dans l’enseignement, le partage est ma clé de voûte.

Cathédrale de Milan, plan, élévation, et éléments architecturaux. Illus. in: De architectura / Vitruvius Pollio ; tr. & ed. by Cesare Cesariano, 1521.

Je ne tiens pas debout, le ciel coule sur mes mains

Lorsque la vie ressemble soudain à une course de sauts d’obstacles où chaque barrière ratée peut coûter cher, au milieu de tempêtes variées, le miracle des gens fiables. Ceux qui, surgissant des buissons alentours et sans rien connaître de ma situation, tirent spontanément l’un des nœuds embrouillés dont j’ai la charge mentale, le démêlent, le lissent à la perfection, et me le tendent sans perdre de temps et avec un naturel désarmant. S., M., R., V. leur passion contagieuse et leur infaillible présence organisationnelle, stratégique et scientifique, la dame slave chaleureuse qui se rend disponible pour garder nos enfants, jusqu’à la prof de japonais qui me décharge avec un tact étourdissant. O., évidemment : quand on se partage, sans même se consulter, les taches importantes ou ingrates, et qu’on les mène à bout comme l’autre l’aurait souhaité – « deux corps, une tête, » me disait-il un jour. Je vacille, mais mon monde est si solide ; j’ai tant de reconnaissance, et je devrais arrêter, à chaque fois, d’être surprise.

Son : parce que ce mauvais billet creux a été écrit juste pour pouvoir mettre un lien sur cette chanson écorchée : Christine and the Queens, Christine, in Chaleur humaine, 2014. Une amie chère m’écrivait : « Quand mes émotions s’agitent et se manifestent et qu’intérieurement j’ai besoin de crier, de pleurer, d’évacuer, c’est toujours Christine and the Queens qui vient. […] Et quand je l’ai écoutée, ça va mieux quelque part. »

Jackson Pollock, One: Number 31, 1950, 1950, au MoMA

La mer emprisonnée

Une grille de simulation eulérienne ?
Bretzel géométrique au goût de sel
Sous le solide immuable, le liquide fluctuant
La rouille au sucre glacé, l’écume écrémée
La mer emprisonnée
L’échappée apaisée

La mer emprisonnée, S.P., tous droits réservés, avec son aimable autorisation. À regarder avec le son sans modération.

Straight Rye Whiskey Friday

Parce qu’il ne faut pas se laisser abattre
Trio Petrucciani, whiskey, bougies
Papillote au chocolat noir de Madagascar
Équations de cascades par myriades
Et laborieuses corrections de chapitres
Nancy Huston : fabuleuse fabulatrice
L’égrènement des mails des établissements
Annonçant leur fermeture
Dehors la tempête de neige se prépare.

Son : Anthony Jackson, Michel Petrucciani, Steve Gadd, Home, in Trio in Tokyo, 1999

Post-Chapter 2

Je passe les premières nuits de l’année dans un exercice singulier, à éditer-vivre mentalement une promenade parisienne chatoyante, à partir de faits réels. Transposer le partenaire, ajuster les détails croustillants qui permettent l’unité, dérouler une conversation fictive où la science est centrale, sur une trame d’amitié profonde. Vers trois heures du matin, j’atteins enfin le bout de mon excursion cérébrale, pose les deux dernières phrases de mon chapitre avec le sentiment – souvent faux, issu de l’hallucination – d’une haute perfection. Et je m’enfonce dans le sommeil.

Dix heures plus tard, je sors d’un tunnel sans rêve. Hagarde, je m’habille, sors de chez moi, une lumière semi-divine rase les maisons de bois américaines. J’observe mon allée qui a curieusement changé ; tout a changé, au cours de la nuit. Je parcours avec suspicion le chemin jusqu’à mon café. Je vois bien qu’une multitude de petits détails diffèrent. L’angle de retombée des branches de ce buisson, la hauteur entre les pavés du trottoir, le parfum sans tain de l’air. Je suis persuadée que j’ai traversé quelque singularité et que je suis dans un monde parallèle.

Une réalité, elle aussi hautement inhabituelle, mais la réalité, atterrit dans mon champ, dans un tourbillon de poussières. Un bras mécanique sort de la soucoupe, cueille ce qui restait de mon existence physique, me ramène sur Terre séance tenante, pour que je puisse m’agiter, bouger les bras, houspiller et même enfoncer ma carrosserie dans un poteau à reculons.

J’ai laissé dans l’autre monde un paquet de neurones, ceux qui scintillaient, mais enveloppés dans un linge de torpeur. Le bras mécanique a dû croire à un déchet, l’intelligence artificielle a encore des progrès à faire.

Walt Disney Pictures, Wall-E, 2008

2023

2023 finalement se résume en un mot : écriture. Dans cette renaissance, une maille de particules scintillantes m’a connectée à tout. L’écriture a modifié mon approche au monde, aux personnes, à la chercheuse que je suis, la mère que je n’aspire pas à être, et a provoqué la profusion de nourritures humaines.

Je ne pense pas qu’il soit possible de vivre éternellement avec ce rythme-là, cette folie-là implantée dans le crâne, dans une semi-exaltation sur 70% de l’année. Impossible de continuer à mener tant de vies parallèles, tout en secouant violemment les âmes que je croise – qui ont pour l’instant, souvent, la bonté et l’élégance de me remercier de le faire.

Mais ce qui me donne de l’espoir, c’est que lorsque la nouvelle année s’ouvre et que je serre les dents pour encaisser la tempête de travail qui s’annonce, il y a en ligne de base, en mon sein, une grande paix. La grande paix d’être.

Et peut-être qu’avec cette quiétude-là, je réussirai à mener la barque de ma folie en 2024, j’ai encore envie d’être surprise, tous les jours, à chaque instant, encore envie de m’arrêter dans mon quotidien, de vous croiser, de partager, de m’émerveiller et de venir écrire ici avec mon ridicule enthousiasme : « Ma vie est un roman. »

Gesine Arps, Cammino sul raggio di luce, 2022/23

My poor Niagara

En 2011, je découvrais les chutes du Niagara et j’avais tenté, par l’usage des mots, de convoquer une image autre que celle de leur triste dénaturation qui me retournait l’estomac. Me voilà de retour aux mêmes chutes, cette fois au cœur de l’hiver. Et c’est toujours un gâchis. J’essaie de faire abstraction du béton, du clignotement des tours, des casinos, de la commercialisation immiscée dans la moindre goutte d’eau. J’essaie de me concentrer sur le grondement, sur le gouffre, l’informe nuage qui tombe, s’élève, pleut et détrempe nos visages.

Mais je n’y arrive pas.

L’image qui s’impose à moi à ce moment-là, et dans laquelle je m’échappe, c’est celles des chutes d’Iguazu en avril 2022. Juste après les orques de la péninsule de Valdes –encore une page que je n’ai pas écrite parce que j’étais asséchée.

Les chutes d’Iguazu, c’était ce petit matin alors que le parc naturel s’éveillait à peine. Nous étions les premiers et les passerelles de bois étaient vierges. Nous nous faufilions entre les lianes, dans le cri des singes, d’oiseaux colorés ; à chaque tournant, derrière les rochers peinturlurés de boue orange, il y avait une surprise. Un nouveau morceau d’eau, un bout de cascade. Et enfin il y a eu les chutes. Dans des dizaines de plans et d’arcs-en-ciels, nos chemises de toile déjà humides, comme un panorama infini de ciel qui s’explose joyeusement au sol. C’était un feu d’artifice à la géométrie et aux couleurs inversées. C’était tant de vie qui coulait à flots.

Tout en haut, surplombant les chutes, de longs ponts traçaient leur ligne gracieuse sur la lagune. En les traversant, on pouvait se mettre à douter de sa matérialité, on se sentait flotter. Le vol épuré des toucans. Et puis l’orage qui nous avait surpris sur la Garganta del Diablo, comme si tout à la fois se déchaînait et que nous allions finir aspirés dans des tourbillons d’eau ; les enfants hurlaient de peur et de joie mêlées.

C’est à tout cela que je pensais en arpentant le béton jonché d’emballages de chips et de snickers, le long des Niagara Falls. Et à cette exclamation de la première dame Eleanor Roosevelt arrivant à Iguazu en 1944 : « My poor Niagara!… ». Elle comparait les tailles, les amplitudes, les flux. Moi je m’exclamais pareil, mais parce que j’étais sincèrement navrée. Navrée de cette défiguration. Navrée de la capacité de l’Homme à massacrer la beauté.

Niagara Falls, décembre 2023

Une journée Duras

Ce matin, au café dans la petite ville de Cambridge, Ontario, l’attente est longue et les enfants impatients. Alors j’inflige à tout le monde la lecture des premières pages d’Écrire de Duras. Il est question de la solitude de l’écriture – ce qui me permet d’expliquer à P. avec des mots autres que les miens, pourquoi j’ai besoin d’aller me réfugier dans la véranda glacée plutôt que de rester dans le salon, car il m’est impossible d’écrire en sa présence, quand bien même nous nous tournerions le dos.

La solitude intrinsèque, elle surgit des étangs au cours d’une promenade dans l’après-midi, au milieu du cri des oies à têtes noires, les longues herbes séchées couleur paille, baie et gris, le ciel bas comme une paupière lourde. Elle m’embrasse soudainement et je ne l’avais pas vue venir. C’est d’une telle ironie, car j’ai rarement été aussi entourée. Mais la dissociation complète avec la scène familiale, mon envie à cet instant de n’être que seule et d’écrire. L’impression intime, ultime d’être seule sur Terre et que personne n’y pourra jamais rien – cela me saisit et ne me lâche pas.

Le soir venu, je reprends Duras, je repense aussi aux propos de Montero. Cette solitude, il s’agit peut-être simplement de cette solitude de l’écriture, la solitude de l’écrivain. Celle d’où sort le flot de mots, celle nécessaire pour créer, celle à rechercher, précieuse, et pourtant douloureuse. Une sorte de bijection avec la création.

De nombreuses phrases magnifiques à souligner dans ce texte de Duras. Mais aussi, à force de l’entendre évoquer son Vice-consul, je me décide enfin à combler cette lacune, et nous nous installons avec P. devant India Song.

Cette claque lente et langoureuse, la sensualité absolue, le silence, du cinéma français dans toute sa splendeur avec Marguerite Duras aux manettes. Après les premières dix minutes, je dis : « C’est très étonnant, c’est très beau, et je ne pense pas que je vais réussir à tenir deux heures comme ça. » Et en fait si. Malgré ma tendance impatiente, je me laisse happer dans la lenteur, dans ces scènes de jeu silencieux, au gré des notes de piano au parfum nostalgique et voluptueux, et ces voix qui viennent effleurer l’image. Hantée jusqu’à l’os par les cris du Vice-consul qui transpercent la nuit, et surtout ce discours qu’il tient à Anne-Marie – oh cet amour-là, cette connexion-là, cette solitude-là, énoncées en quelques phrases d’une puissance folle, cette chose si complexe, sans entendement, rien que dans une forme de vibration mentale. Moi aussi, comme Delphine Seyrig, j’étais dans une robe rouge, la peau si blanche, et j’étais bouleversée, si seule et bouleversée.

Son : Carlos d’Alessio, India Song, 1975, dans la BO du film.

Delphine Seyrig, dans India Song, par Marguerite Duras, 1975, d’après son roman Le Vice-consul, 1966