Dans l’objectif et la lumière

La coiffeuse au matin me voit arriver en retard, décousue et éparpillée, avec trois sacs, une housse contenant une panoplie de robes, elle me met des patchs sous les yeux, dompte et lisse mes cheveux, ainsi que mon stress disproportionné.

J’accueille Franck entre plusieurs fonctions que je dois remplir – pourtant, j’avais libéré mon agenda pour cette séance. Quand je le rejoins, il a installé, dans la quiétude historique du bâtiment voisin, loin de l’agitation de mon laboratoire, de grands parapluies argentés et des lumières, des branchements et une longue toile rouge-Electre (coïncidence ?).

Franck, tout de suite, je l’aime beaucoup. Il a une gestuelle à la Woody Allen, timide, hésitante, courante, et soudain « Oh ! » il s’arrête, à l’endroit exact où la lumière s’est posée parfaitement sur ma joue. Son regard émerveillé, le trésor trouvé, à cet instant, je me fige pour qu’il puisse créer librement. Dans cette démarche où il cherche le rayon juste sur le grain de ma peau, et puis le rebond de mon âme, mais sans aucune insistance, sans qu’à aucun moment, je ne me sente fouillée, par petites touches de pinceau et de claquements d’appareil – j’ai oublié qu’il s’agit de faire mon portrait pour une couverture de livre.

Quelque chose de nouveau et d’enivrant : de prêter mon contour au cadre, à la couleur, à cet œil noir et vitré qui me capture. Je ne suis pas photogénique, mais ce n’était pas le propos, ce qui importait c’était le rouge-Electre en arrière-plan et son contraste avec ma robe graphique, mon pull noir, l’angle de mon visage, le bois, et les gestes simples qu’il me demande d’imprimer, et sa chorégraphie douce qui permet d’entrer dans un autre degré de songes. Il me parle avec pudeur de son piano à queue, de Mendelssohn et de la Fantaisie de Schubert.

Je pensais détester l’exercice, et il me terrifiait. Finalement, c’est une poésie de plus à inscrire dans l’aventure éditoriale.

Son : Franz Schubert, Fantasy in F Minor, D. 940 (Op. 103), For Piano Duet, interprété par Maria João Pires et Ricardo Castro, 2004

Quelque chose de Ed Hopper parfois, dans le traitement de la lumière chez Franck – mais je n’y connais rien en photographie. Ici, Edward Hopper, Chop Suey, 1929

La beauté protégée

De retour de la Comédie française, dans la zébrure des phares sur le périphérique, je songe à Roxane et à cette défaillance de recevoir de la beauté, à vous seule destinée, créée pour vous, un peu par vous.

J’ai vécu cette défaillance.
C’est une défaillance. Une attaque cardiaque. Un manque d’air et de sang et la propulsion dans un autre univers qu’on ne savait pas. Plus jamais on n’est la même, après cela.

Et probablement de l’avoir vécu, je devrais être comblée, être certaine d’avoir touché l’essence de la vie.

Cette essence, elle ne peut être que courte et éphémère, comme chez Cyrano, interrompue fort à propos deux fois par la mort. Il doit y avoir un obstacle qui rend ces défaillances impossibles à filer, ces battements impossibles à soutenir dans le temps. Ces beautés offertes, elles doivent l’être dans l’ombre et dans la surprise, dans des langueurs transitoires et tragiques. Dans des étiolements mais qui ne choient pas dans la routine, dans les forces puisées dans des attentes vaines, dans une sérénité métastable aux chatoiements soudains. Dans les constances inconstantes.

Voilà ce qui a été vécu, et qui ne pouvait être sinon. Pendant si longtemps je n’ai pas compris, comment les empreintes de nos mains fluctuaient de leur encre. Le rôle joué par celle qui fermait les passerelles. Pourquoi j’avais été mise dans un placard pieds nus, après avoir été nourrie comme une princesse grecque.

C’était la version moins dramatique que la mort.

Nous pensions – tu pensais – sauver le quotidien. Être de ceux raisonnables qui prennent la ligne classique de droiture. En réalité c’est le grand théâtre de la vie qui se jouait en nous, en dehors et au cœur de nous, sa façon à elle de protéger la beauté, de garder intact l’éclat des sons, la lumière des mots entrelacés d’images. Nous pensions subir la réalité et c’est la grâce de la pièce qui a coulé sur nous.

J’ai compris maintenant, et je chéris cette distance qui protège la défaillance, celle qui a été, celle qui dans le futur reste quantique, probabiliste. La distance qui permet de donner corps sans corps, à des mots sans mots, à des messages qu’on sait existants mais que l’on n’ouvre pas, afin qu’ils restent sous forme d’esprits et de pétales.

À l’ellipse.
À l’éphémère qui ne l’est pas, mais l’est par nécessité.
À la beauté qui nous lie, à l’instant où on la rencontre, car nous sommes alors l’un pour l’autre notre première pensée.

Pennsylvanie, février 2024

Au bureau, en transit à Prague

Moins profane, déjà, de lire Duras à Prague.
Et ce pont dans la brume qui monte du fleuve, en grandes bouffées riches, les morceaux de glace qui flottent, polystyrène ou piquant de l’eau
la lumière caressante derrière ces volutes, éclairant le château en surplomb – je ne connais aucun nom de monument à Prague.
J’ai fait un saut en ville, juste pris mon cappuccino au lait d’avoine dans un petit café antique, comme il était nécessaire. Je n’allais pas passer 6h à l’aéroport avec un Costa Coffee…
Prague. J’étais déjà venue avec A. – une histoire de pari, je ne sais plus lequel. Elle ne m’avait pas charmée alors. Là, elle m’est mystique, sortie de l’eau avec des démons et des anges européens. Quelque chose de froid, sophistiqué, piqueté de gothique. Juxtaposition bizarre parmi mes translations. Mais je prends tout, vous savez ; le fil conducteur qui maintient mon cerveau : les 5 documents et les lettres en retard de mon ERC. Autour, mettez-moi dragons chinois ou tchèques, chevaliers en armures colorées, cafards de tous horizons, brumes ou sécheresse, je prends, et les écrirai pour les savourer plus tard, je promets.

Six heures de transit à Prague, brume et ERC avec un cappuccino au lait d’avoine, nov. 2024

Duras au Starbucks de l’aéroport de Xi’an

Est-ce profane de lire Marguerite Duras dans un Starbucks a l’aéroport de Xi’an, en mangeant un roll cake et en buvant un cappuccino au lait d’avoine ?
Après une semaine à déguster les mets faits maison du cuisinier de Xiaodushan,
j’avais une envie irrésistible de café hipster, même dans une chaîne – et d’une pâtisserie sucrée. Pause salutaire très courte avant de replonger dans l’ERC. Le 6 novembre sera une délivrance, mais l’élan partagé à quatre, la fluidité et la confiance valent toute la peine.

Autour de nous, tout écrit, c’est ça qu’il faut arriver à percevoir, tout écrit, la mouche, elle, elle écrit, sur les murs, elle a beaucoup écrit dans la lumière de la grande salle, réfractée par l’étang. Elle pourrait tenir dans une page entière, l’écriture de la mouche. Alors elle serait une écriture. Du moment qu’elle pourrait l’être, elle est déjà une écriture. Un jour, peut-être, au cours des siècles à venir, on lirait cette écriture, elle serait déchiffrée elle aussi, et traduite. Et l’immensité d’un poème illisible se déploierait dans le ciel.

— Marguerite Duras, Écrire, 1993

Duras à l’aéroport de Xi’an, avec un cappuccino Starbucks, nov. 2024

Mission sur le terrain [2]

Mais c’est dur, le terrain,
aride, ce paysage qui, finalement, toujours laisse mon cœur dans une étrange immobilité. Tout est plat dans un horizon perdu, et les traces de voitures qui sillonnent le sable semi doux, une croûte de crème brûlée. J’ai honte que nous soyons ceux qui abîment et zèbrent ce paysage.

Dur, quand dès la première fois que je propose mon aide, le collègue chinois me demande si je peux préparer le thé. C’est probablement le prix à payer pour avoir demandé la Electre’s room, une chambre particulière 5 étoiles, deux lits-planches doubles, sur lesquels poser un matelas de camping. Rideaux aux fenêtres et même un petit chauffage nocturne au gaz, pendant que les hommes se réchauffent entre eux, dans un préfabriqué voisin. Les chinois sont aux petits soins, et c’est aimable. Mais on m’enlève aussi les outils des mains, on s’étonne quand je grimpe sur les toits, que je porte des antennes à bout de bras.

Dur de ne pas être une expérimentatrice rodée – P., X. et J. m’ont alimentée en outils avant de partir, et toute la collaboration s’active par-delà les fuseaux horaires, pour plancher sur les problèmes. Je convertis des fichiers, les exporte d’une machine à une autre, je sors des spectres, des coïncidences de signaux entre antennes, mais les choses vont si vite, et je ne suis pas assez habituée pour être tout à fait utile. Pire – mon envie de mettre la main à la pâte brouille mes positions, mon statut, mon caractère.

Amusant, le terrain, quand je participe au montage d’une série d’amplificateurs, au vissage des vis minuscules, sur une table d’électronique. Amusant aussi de monter à l’arrière du pick up entre la nouvelle et l’ancienne station, vingt minutes de montagnes russes véritables sans autre attache que ses bras. Amusant et excitant bien sûr, cette moisson de données à éplucher au soir, et le miracle qui fait que nous avançons, que tout se met en place, que tout finit par marcher. [Le miracle de O. ?]

Le cuisinier fait des mets fabuleux. Il crée et étire des nouilles blanches au bout de ses doigts et de ses bras. À manger dans des bols jetables en plastique, et des baguettes de bois tout aussi jetables, qu’ils brûlent dans le sable un peu plus loin. Pf propose de réserver une heure en fin de séjour pour ramasser les ordures jonchant tous les buissons alentours, tout ce que nous avons pollué et qui me fend le cœur.

Nous dormons quatre heures par nuit grand maximum. J’écris en parallèle de la mission des lettres de recommandation, mon éditeur m’envoie le bon à tirer de mon livre à vérifier. Le roman fleuve ERC continue – avec un réseau intermittent frustrant, au milieu de la nuit avec O. ; et J. qui m’écrit : « I am so thankful » et qu’il se voit grimper les Andes avec des antennes à dos d’âne. À trois heures du matin, les yeux éclatés dans mon duvet, je jette en vrac des phrases dans un fichier : je ne veux pas vivre cette mission à moitié, alors il faut l’épingler avec des mots.

Je suis épuisée.

Orion et la belle Galaxie toutes les nuits, à regarder lors de ma sortie obligée.
Le soleil sur le visage le matin des rougeurs.

Son : Steven Gutheinz, Beyond the Lens, in Beyond the Lens, 2020

L’incongru portail ciselé et doré de notre base de vie et de travail donnant vers les montagnes XiaoDushan au loin. Octobre 2024.

Écriture en boucle : réflexions d’un ChatGPT vivant

Le risque de pondre des billets en série pour vider son cerveau, en se relisant à peine, c’est qu’on quitte l’« exercice d’écriture » et pour tomber dans le journal intime à vomir qui conjugue bisounourserie, autocomplaisance et style lourd… [Je déconseille aux rares lecteurs de ces pages de lire les billets qui précèdent, sauf besoin d’un vomitif.]

Je crois d’ailleurs qu’en écrivant ce livre « de science », j’ai travesti mon écriture – si jamais j’en ai vraiment eue une. J’y ai cassé tout ce qui était elliptique et étrange… pour « ne pas perdre le lecteur » et faire plaisir à mon éditeur. « Tu exagères, » me dirait-il. Et il aurait raison.

Un jour, il faudrait qu’au-delà de bavouiller ici en qualifiant pompeusement la démarche d’« exercice », je me jette un peu plus sérieusement dans la littérature, et que je lise, que je lise.

J’ai l’impression dans ces pages d’être en vase clos, de me répéter, d’alterner entre trois tournures et modes d’expression. En relisant mes anciens billets, je m’auto-alimente. Ce carnet est un ChatGPT vivant.

Note 1 : D’ailleurs, Chat GPT me répond « Votre réflexion soulève des points essentiels sur l’écriture et l’authenticité. Écrire de manière répétitive peut mener à une stagnation et éloigner de sa voix personnelle. Explorer et renouveler son style est crucial. L’idée de plonger dans la littérature est inspirante et pourrait enrichir votre écriture. Le parallèle avec un “ChatGPT vivant” souligne le risque de schémas prévisibles. »

Note 2 : Le titre de ce billet a été proposé par ChatGPT. Voilà.

Salvador Dalí, L’énigme sans fin, 1938. Huile sur toile, 114,3 x 146,5 cm, Madrid, Muséo Nacional Centro de Arte Reina Sofia

L’aventure éditoriale [3]

Ce matin, je travaille quatre heures côte à côte avec mon éditeur. Il sent bon. Il a les yeux bleus. Il me demande tout le temps si j’ai lu des auteurs dont je n’ai jamais entendu parler. Il m’accorde mon dernier caprice de conjugaison grammaticalement incorrecte.

« De retour à Buenos Aires, O. me lançait : toi t’es vraiment cool en mission. »

La correctrice a corrigé d’un passé simple. Mon éditeur l’avait aussi déjà modifié lors d’une première passe, mais je l’avais repris. Je tiens à mon imparfait.

« C’est parce ce que, c’est comme si je mettais une distance, tu vois ? C’est un peu dans la durée, je ne veux pas que ça sonne comme un dialogue concret, mais comme quelque chose de passé, flottant, étiré… C’est une espèce de figure de style. »

Il passe la main sur ses yeux, se frotte les tempes, s’appuie dans sa chaise, et lâche : « Oui, je comprends. » J’en suis presque choquée. Hein, quoi ? Tu comprends l’effet pseudo-stylistique que je veux rendre avec ma piètre technique d’écriture d’amatrice ? Il est déjà treize heures, il nous reste encore un chapitre… il dit : « Bon ok, c’est bon, on laisse comme ça. »

Je me moque gentiment de ses « un brin », « un rien », « il s’agit de », « de façon à » dont il a parsemé mon texte. Des « C. »-eries, les appelle-t-il lui-même, mais il me tape sur le bras « tu exagères ! » Je lui dis à multiples reprises que j’écoute (quasiment) toujours ce qu’il me dit, et que j’ai tellement appris avec lui.

La joute est professionnelle, délicieuse, galante. Nos mains s’effleurent sur les pages, sur le stylo qu’on se passe pour les annotations. Il faudrait toujours travailler avec des hommes intelligents, efficaces, beaux et galants. Même quand vous n’avez dormi que quatre heures et que vous êtes pleine de plis et d’épis de cheveux blancs, ils arrivent à vous renvoyer une image élégante [sic] de vous-même.

Et puis trois remarques : i) c’est une étrange parenthèse dans le reste de mes vies, ii) à l’étage de dessous, Amélie Nothomb travaillait dans son bureau en bazar, iii) il y avait sur le bureau l’épreuve non corrigée en format livre. Je l’ai soupesé et j’en ai feuilleté les pages ad nauseum, dans une incrédulité posée. En disant juste avec les lèvres que c’était émouvant, alors que, comme tous les jours depuis quelques semaines, mon encéphalogramme émotionnel restait plat.

Correction des épreuves au bureau de mon éditeur, octobre 2024

Pensieve

En flux ultra-tendu, comme on dit, et j’ai semble-t-il fermé tous les interstices pour éviter de me perdre dans des émotions – je n’ai pas cette marge de manœuvre, j’avance et j’abats solidement ce qui doit l’être, je ne m’arrête pas, je ne contemple pas, je ne me pose pas de questions, je ne me plains pas, je fais.

Mais se bousculent dans une zone à laquelle je n’accède pas, les sujets de billets, les esquisses et les personnages, les bribes de conversations, les souvenirs.

Il faut les sortir un par un de la tête. J’avais déjà évoqué dans ces pages cette image de pensieve, elle est très juste : les filaments de pensée, comme des grandes structure d’Univers ou des plasmas dans des restes de supernovae. À extraire, à sublimer – pour exister ?

[Certains billets seront donc postés avant celui-ci, pour suivre l’ordre chronologique des événements et des pensées.]

I sometimes find, and I am sure you know the feeling, that I simply have too many thoughts and memories crammed into my mind. […] At these times, […] I use the Pensieve. One simply siphons the excess thoughts from one’s mind, pours them into the basin, and examines them at one’s leisure. It becomes easier to spot patterns and links, you understand, when they are in this form.

— Albus Dumbledore, in J. K. Rowling, Harry Potter and the Goblet of Fire, 2000

Albus Dumbledore s’extrayant une pensée pour la déposer dans le Pensieve, Harry Potter and the Half-Blood Prince, dir. David Yate, basé sur le roman de J. K. Rowling 2005.

Flat white

Claire Forlani et Brad Pitt dans Meet Joe Black, 1998

À la sortie du métro, je m’installe dans un café avec un flat white, à une petite table en métal noir, sur laquelle j’étale mon paquet de feuilles. J’ai une heure et demie devant moi et je compte relire une dernière fois cette chose, avant de la déposer moi-même chez mon éditeur. Je la laisserai à l’accueil s’il est occupé, car ma visite est impromptue.

Je suis au milieu de mon troisième chapitre, quand une voix basse, douce et composée perce la bulle de mes écouteurs : « Il paraît que c’est vachement bien, ce que tu lis. »

Je lève les yeux sur le regard bleu malicieux de mon éditeur. Sa main effleure mon épaule, il va commander un café. Je lui fais de la place, il pose sa tasse, me demande ce que je bois, quel hasard [euh…] m’amène dans ce café.

Et sans transition, je suis en mode boulot, à lui énoncer les incohérences d’édition que j’ai trouvées, je tourne mes liasses de pages à la recherche des annotations. Je me sens si détachée, sans émoi, et pourtant mes mains sont froides et je laisse glisser maladroitement les feuillets sur le sol. [Je ne sais pas si je suis en émoi.]

Il y a quelques mois, j’aurais vécu une telle rencontre comme un agent double : celle à la façade pro, et celle liquéfiée sous les yeux bleus et le romanesque de la situation.

Je n’aime pas avoir arrêté de vivre ma vie comme un roman. Je n’aime pas ne pas me sentir connectée à chaque personne que je regarde dans les yeux. Je n’aime pas que les instants ne m’appellent plus à l’écriture.

Son : Leif Vollebekk, Wait A While, in New Ways, 2019

L’aventure éditoriale [suite]

Dernière relecture des épreuves ; je me balade avec mon énorme liasse de feuillets et un stylo vert Pilot à friction. Le manuscrit est plus épais que ma thèse, plus épais que tout ce que j’ai écrit jusqu’à présent. Je le pose sur mon bureau, mon lit, mon salon, sur les tables en bois au vernis satiné de mon café hipster, je l’annote avec les signes de correction que mon éditeur m’a enseigné.

Je ne cherche pas la perfection – mon TDAH s’accommode très bien d’un 95%. Je scrute les dégoulinades et les tournures que je pourrais regretter, les impressions que je véhicule qui sont déjà obsolètes par rapport au moment où je les ai écrites.

Je fais ça comme une tâche à accomplir, comme le document de l’appel à projet européen que je rédige, comme les minutes des meetings que je ponds dans la foulée, comme les simulations que je fais tourner et les courbes que je trace, les slides que je prépare.

Pourquoi ? Pourquoi ça ne scintille pas, pourquoi ça ne m’exalte pas ? Parce que je suis seule avec cette aventure éditoriale dans ma tête ? Parce que je n’ai pas le temps de l’écrire ? Parce que je ne prends pas le temps de l’écrire ?

Demain, mon éditeur enverra un coursier pour récupérer le bébé annoté, m’écrit-il.

Son : Lou Reed, Perfect Day, in Transformer, 1972

L’aventure éditoriale, octobre 2024