Post-Chapter 2

Je passe les premières nuits de l’année dans un exercice singulier, à éditer-vivre mentalement une promenade parisienne chatoyante, à partir de faits réels. Transposer le partenaire, ajuster les détails croustillants qui permettent l’unité, dérouler une conversation fictive où la science est centrale, sur une trame d’amitié profonde. Vers trois heures du matin, j’atteins enfin le bout de mon excursion cérébrale, pose les deux dernières phrases de mon chapitre avec le sentiment – souvent faux, issu de l’hallucination – d’une haute perfection. Et je m’enfonce dans le sommeil.

Dix heures plus tard, je sors d’un tunnel sans rêve. Hagarde, je m’habille, sors de chez moi, une lumière semi-divine rase les maisons de bois américaines. J’observe mon allée qui a curieusement changé ; tout a changé, au cours de la nuit. Je parcours avec suspicion le chemin jusqu’à mon café. Je vois bien qu’une multitude de petits détails diffèrent. L’angle de retombée des branches de ce buisson, la hauteur entre les pavés du trottoir, le parfum sans tain de l’air. Je suis persuadée que j’ai traversé quelque singularité et que je suis dans un monde parallèle.

Une réalité, elle aussi hautement inhabituelle, mais la réalité, atterrit dans mon champ, dans un tourbillon de poussières. Un bras mécanique sort de la soucoupe, cueille ce qui restait de mon existence physique, me ramène sur Terre séance tenante, pour que je puisse m’agiter, bouger les bras, houspiller et même enfoncer ma carrosserie dans un poteau à reculons.

J’ai laissé dans l’autre monde un paquet de neurones, ceux qui scintillaient, mais enveloppés dans un linge de torpeur. Le bras mécanique a dû croire à un déchet, l’intelligence artificielle a encore des progrès à faire.

Walt Disney Pictures, Wall-E, 2008

2023

2023 finalement se résume en un mot : écriture. Dans cette renaissance, une maille de particules scintillantes m’a connectée à tout. L’écriture a modifié mon approche au monde, aux personnes, à la chercheuse que je suis, la mère que je n’aspire pas à être, et a provoqué la profusion de nourritures humaines.

Je ne pense pas qu’il soit possible de vivre éternellement avec ce rythme-là, cette folie-là implantée dans le crâne, dans une semi-exaltation sur 70% de l’année. Impossible de continuer à mener tant de vies parallèles, tout en secouant violemment les âmes que je croise – qui ont pour l’instant, souvent, la bonté et l’élégance de me remercier de le faire.

Mais ce qui me donne de l’espoir, c’est que lorsque la nouvelle année s’ouvre et que je serre les dents pour encaisser la tempête de travail qui s’annonce, il y a en ligne de base, en mon sein, une grande paix. La grande paix d’être.

Et peut-être qu’avec cette quiétude-là, je réussirai à mener la barque de ma folie en 2024, j’ai encore envie d’être surprise, tous les jours, à chaque instant, encore envie de m’arrêter dans mon quotidien, de vous croiser, de partager, de m’émerveiller et de venir écrire ici avec mon ridicule enthousiasme : « Ma vie est un roman. »

Gesine Arps, Cammino sul raggio di luce, 2022/23

Une journée Duras

Ce matin, au café dans la petite ville de Cambridge, Ontario, l’attente est longue et les enfants impatients. Alors j’inflige à tout le monde la lecture des premières pages d’Écrire de Duras. Il est question de la solitude de l’écriture – ce qui me permet d’expliquer à P. avec des mots autres que les miens, pourquoi j’ai besoin d’aller me réfugier dans la véranda glacée plutôt que de rester dans le salon, car il m’est impossible d’écrire en sa présence, quand bien même nous nous tournerions le dos.

La solitude intrinsèque, elle surgit des étangs au cours d’une promenade dans l’après-midi, au milieu du cri des oies à têtes noires, les longues herbes séchées couleur paille, baie et gris, le ciel bas comme une paupière lourde. Elle m’embrasse soudainement et je ne l’avais pas vue venir. C’est d’une telle ironie, car j’ai rarement été aussi entourée. Mais la dissociation complète avec la scène familiale, mon envie à cet instant de n’être que seule et d’écrire. L’impression intime, ultime d’être seule sur Terre et que personne n’y pourra jamais rien – cela me saisit et ne me lâche pas.

Le soir venu, je reprends Duras, je repense aussi aux propos de Montero. Cette solitude, il s’agit peut-être simplement de cette solitude de l’écriture, la solitude de l’écrivain. Celle d’où sort le flot de mots, celle nécessaire pour créer, celle à rechercher, précieuse, et pourtant douloureuse. Une sorte de bijection avec la création.

De nombreuses phrases magnifiques à souligner dans ce texte de Duras. Mais aussi, à force de l’entendre évoquer son Vice-consul, je me décide enfin à combler cette lacune, et nous nous installons avec P. devant India Song.

Cette claque lente et langoureuse, la sensualité absolue, le silence, du cinéma français dans toute sa splendeur avec Marguerite Duras aux manettes. Après les premières dix minutes, je dis : « C’est très étonnant, c’est très beau, et je ne pense pas que je vais réussir à tenir deux heures comme ça. » Et en fait si. Malgré ma tendance impatiente, je me laisse happer dans la lenteur, dans ces scènes de jeu silencieux, au gré des notes de piano au parfum nostalgique et voluptueux, et ces voix qui viennent effleurer l’image. Hantée jusqu’à l’os par les cris du Vice-consul qui transpercent la nuit, et surtout ce discours qu’il tient à Anne-Marie – oh cet amour-là, cette connexion-là, cette solitude-là, énoncées en quelques phrases d’une puissance folle, cette chose si complexe, sans entendement, rien que dans une forme de vibration mentale. Moi aussi, comme Delphine Seyrig, j’étais dans une robe rouge, la peau si blanche, et j’étais bouleversée, si seule et bouleversée.

Son : Carlos d’Alessio, India Song, 1975, dans la BO du film.

Delphine Seyrig, dans India Song, par Marguerite Duras, 1975, d’après son roman Le Vice-consul, 1966

La maison au bord du lac

Un soir, sur un de mes coups de tête tarés-mais-maîtrisés, j’ai loué une maison en surplomb d’un lac, à Cambridge, Ontario, parce que pourquoi pas. Je me disais que les enfants pourraient jouer dehors et que j’écrirais mon livre en regardant les reflets. Le lendemain matin, nous avons pris la route.

Pendant six heures, les fermes et granges pennsylvaniennes, new yorkaises et canadiennes se succédaient dans leur désolation hivernale, une lumière lugubre dans le déclin. Six heures dans une semi-conscience, entourée de fantômes.

À l’arrivée, la maison est parfaite. La lune dépose d’entre les arbres une lueur fantasmagorique. L’eau semble briller dans la nuit.

Cette nuit-là, je la passe en semi-transe dans la véranda avec mon gros manteau d’hiver, les doigts gelés, à noter tous les délires mentaux de la route. Je suis au cœur d’un champ de bataille, à me noyer dans des transcriptions de lettres, d’équations, de vers, faustiens, nervaliens, schwarzschildiens, einsteiniens.

Cambridge, Ontario, décembre 2023

C’est étrange et enivrant, cette liberté acquise au fil de années, qui me permet de vivre la vie que j’entends en naviguant dans une forêts de contraintes. Soudain il me revient l’un de mes premiers amours lycéens, cette pièce si puissante de Robert Bolt, A Man for All Seasons, où Sir Thomas More explique à son gendre le pouvoir salutaire des lois des hommes :

“Oh? And when the last law was down, and the Devil turned ’round on you, where would you hide, Roper, the laws all being flat? This country is planted thick with laws, from coast to coast, Man’s laws, not God’s! And if you cut them down, and you’re just the man to do it, do you really think you could stand upright in the winds that would blow then? Yes, I’d give the Devil benefit of law, for my own safety’s sake!”

— Robert Bolt, A Man for All Seasons, 1960

J’admets que le parallèle est un peu flottant [d’autant que Sir Thomas More, lui, finit décapité], mais je sais aussi mes forêts de contraintes quotidiennes nécessaires et salvatrices. Ce sont elles qui construisent l’équilibre et la justesse de ma vie, comme les lois la société. Cela n’empêche pas, entre les arbres, de se perdre dans les cabanes de sorcières, de connaître tous les chemins de traverse pour accéder aux clairières enchantées, mais toujours protégée par la solide forêt du fondamental.

Choses insoutenables

Arpenter la petite ville universitaire sous la pluie
de bibliothèque en librarie,
à la recherche d’un exemplaire de Faust
Les allées du campus, désertes, paisibles, grises
Le Magnificat céleste tout en haut de l’âme
Dans la transe, l’épiphanie
d’avoir trouvé la pièce manquante à mon prochain chapitre
Arpenter mon monde parallèle, au milieu de fantômes
Sylvia, Schwarzschild, Montero, Goethe, leurs folies
Ouvrir des livres anciens au Webster,
aux pages crayonnées dans ce cursif allemand
Débusquer Goethe, enfin.
Être plongée dans le sentiment océanique cher à Romain Rolland
La résonance absolue avec toutes les particules de l’Univers
y compris les neutrinos de ultra-haute énergie.

L’insoutenable certitude d’être vivante.

Son : Suite et fin d’hier, le Magnificat de la transe. Taylor Scott Davis, Magnificat: V. Gloria Patri, VOCES8 Foundation Choir & Orchestra, 2023

Caspar David Friedrich, Frau vor untergehender Sonne, huile sur toile, circa 1818

Faust et Jane Austen sur une friche radioactive

Son – nécessaire pour avoir l’intégralité de l’expérience sensorielle : Taylor Scott Davis, Magnificat: III. Et Misericordia, suivi de IV. Deposuit, VOCES8 Foundation Choir & Orchestra, 2023

Doucement, les flocons viennent se déposer sur l’étendue bleutée, grise, désolée. Au cœur de cette friche radioactive, une tâche orangée : la petite cheminée en pierre de taille et ses flammes dansantes, le fauteuil Régence encadré de bois sombre, le tapis de laine aux motifs floraux, le buffet en noyer avec ses cabinets vitrés. Et – comme la vie est étrange – je suis en compagnie de Faust.

Mon Cosmic Rays and Particle Physics de Gaisser a depuis longtemps chu par terre, mais Faust m’assure qu’il ne s’est pas abîmé – le tapis aura amorti la chute. Je ne sais pas combien de temps nous restons ainsi, suspendus dans les flocons, les flammes et la radioactivité ; à converser dans l’inconfort de ce sofa anglais. Quand la scène se met en mouvement et que le déroulé s’accélère, j’écris hâtivement :
« C’est le moment où le buffet bascule et que toute la porcelaine tombe en éclatant sur le sol. »
Il rit : « D’accord. Il va falloir s’en occuper. »
Et moi : « J’espère que mon livre n’est pas abîmé, c’est l’exemplaire de la bibliothèque. 
— Ne t’inquiète pas. Il est intact, avec toutes ses équations. »

Je contemple la scène, la friche bleutée à perte de vue, à mes pieds le verre et la porcelaine brisés, le reflet des flammes dans le satin de ma robe, le reflet des flammes dans ses yeux. J’écris : « J’ai l’impression d’être dans un livre de Jane Austen. » Faust s’enquiert : « Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? »

Dans ma cuisine pennsylvanienne, K. me demande de lui faire un tatouage de bonhomme de neige. Sur le plan de travail, mon Gaisser est ouvert à la page 113, « Cascade equations ». Je ne l’ai pas refermé quand on m’a enjoint de le faire. Je mouille le bras de K. et surmonte le bonhomme d’une étoile d’or. Je me dis confusément : « Oh mon Dieu, je suis en train de vivre-écrire un roman de Jane Austen, avec Faust, au milieu d’une friche radioactive. »

Je retourne brièvement au pied de la cheminée crépitante. Faust est toujours là. Cette présence certaine, rassurante, la chaleur enveloppante au cœur de l’hiver. J’écris : « C’est fabuleux, bien entendu. »

Caspar David Friedrich, Klosterruine Oybin (Der Träumer), huile sur toile, circa 1835.

Le danger de ne pas être folle

Rosa Montero, Le danger de ne pas être folle, Ed. Métallié, 2022.

Chose que je ne fais jamais : dès l’instant où je plonge dans ce livre, j’ai la compulsion de me munir d’un crayon. Je ne veux rien laisser échapper de cette lecture, je dois annoter et souligner tout ce qui compte – et il y en a beaucoup.

Rosa Montero m’entraîne dans un portrait de moi-même. Le texte en soi est magistral, mené dans des rythmes changeants où l’on se laisse transporter, par la neuroscience, par la littérature, par les éléments autobiographiques et biographiques. Elle donne une belle voix à mes auteurs chéris et déroule cette autopsie du cerveau créatif, de la personne créative, d’une plume rigoureuse et décontractée, mais aussi émouvante, voire bouleversante. Le final, inattendu, donne la dimension de l’art et du talent de l’autrice, d’avoir su faire de cet essai un roman.

Évidemment, il est une heure trente du matin dans mon salon pennsylvanien, et je suis en morceaux, tremblante avec mon plaid, mon livre entre les doigts, mon crayon entre les lèvres, ne sachant pas si c’est à cause du conte émouvant des derniers chapitres, les lignes finales percutantes de beauté, ou tout simplement parce que je viens de lire mes quatre vérités sur 250 pages.

C’est effrayant et éblouissant cette description si juste, quasiment de bout en bout. À ceux qui chercheraient encore à comprendre cette partie de moi, probablement la plus profonde et centrale, j’aurais envie de leur tendre ce livre.

La narration exacte des crises d’angoisse, la dissociation, les horcruxes, la nécessité de l’isolement pour créer, les résonances avec le monde qui portent le nom de « sentiment océanique » donné par Romain Rolland, l’addiction, l’intensité, la passion des gens montant en crescendo avant de redescendre, l’endroit noir qui mène au suicide, tout y est. Même l’explication des cauchemars à images géométriques en rotation que j’ai depuis mes six ans, et le concept de litost kundérienne*… Tout y est.

“sentiment océanique” ces instants d’une intensité aiguë et transcendante, quand ton moi s’efface et que ta peau, la frontière de ton être, s’évanouit, si bien que tu crois sentir les cellules de ton corps se répandre et fusionner avec les autres particules de l’univers.

— Rosa Montero, Le danger de ne pas être folle, 2022

Et surtout : la nécessité de l’écriture. C’est bien sûr le propos fondamental de ce livre. L’écriture pour vivre avec tout ce que j’ai énoncé plus haut. L’écriture pour vivre. L’écriture parce que sinon il est impossible de vivre. Rosa Montero explique les différents mécanismes et raisons de ce processus. Je ne vais pas les résumer ici en quelques lignes. Elle cite Plath :

Je suis incapable de savourer la vie en elle-même : tout ce que je peux faire, c’est vivre à travers les mots qui arrêtent son écoulement.

P., que je bassine toute la soirée en lisant des extraits à voix haute et en dégoulinant mon excitation, me suggère : « Tu es sûre que tu ne te forces pas à te retrouver là dedans ? » Je lui ris au nez. C’est comme si on demandait à Sylvia Plath si elle se forçait à se retrouver dans son Journal.

La semaine dernière, à Chicago, j’ai eu deux jours flottants, déconnectée de moi-même, incapable de me rassembler et faire sens à ce que je vivais. Je mettais cela sur le compte de la disjointure famille/mission, de la fin d’année, des tâches accumulées, des difficultés de la collaboration G., de complexités organisationnelles diverses… Mais en fait non. J’avais une ribambelle de billets à écrire dans ma tête et tant qu’ils n’étaient pas couchés sur ces pages et publiés, je ne pouvais pas appréhender la suite. C’est l’acte d’écrire qui m’a permis de réconcilier les disjointures, les complexités, de m’apaiser sur mes tâches, de faire la paix avec ce qui m’arrive et prendre les choses sous contrôle. Dès lors que j’ai posté mes premiers billets, ça allait beaucoup mieux. Samedi soir, en veillant jusqu’aux petites heures de la nuit et en finissant de rédiger ma série chicagoane, j’étais enfin en paix, ce qui m’a permis – ainsi qu’à toute la famille, quelle ironie – de vivre une veille de Noël merveilleuse.

Je crois que nous autres romanciers avons presque tous l’intuition, le soupçon ou même la certitude que, si nous n’écrivions pas, nous deviendrions fous, ou que nos coutures lâcheraient, que nous tomberions en morceaux, que la multitude qui nous habite deviendrait ingouvernable. Ce serait à coup sûr une existence bien pire. Ou ce ne serait peut-être même pas une existence du tout.

— Rosa Montero, Le danger de ne pas être folle, 2022

Ce qui me bouleverse le plus dans cette lecture, c’est la certitude d’appartenir à cette foule-là. De m’identifier si parfaitement au fonctionnement de ces colosses. De savoir aussi que cette folie que j’ai est partagée et documentée. Je demandais à P. en lisant la description du sentiment océanique : « Ça t’est déjà arrivé ? » et l’étonnement, comme pour Rosa Montero, de savoir que cette transe n’est pas équitablement vécue par tous les humains.

C’est une chance inouïe de faire partie de cette cohorte de fous. D’avoir ma plume, même modeste, comme baguette magique, béquille, outil, thérapie [quelle intuition ai-je eue , me suis-je dis ce soir]. Et Rosa Montero rappelle :

Et au bout de cette traversée hallucinée, tu sors le livre que tu attends, en retenant ton souffle, que quelqu’un le lise. Que quelqu’un dise : eh bien moi, ça m’a intéressé, je t’ai comprise, j’ai vibré des mêmes émotions que toi, j’ai vu le même monde que celui que tu as vu.

Parce que bien sûr, écrire n’est jamais rien sans être lue.

Alors merci.

* litosts : terme tchèque introduit par Milan Kundera. Ce sont ces pensées désagréables de honte face à des incidents souvent sans grande importance, qui vous traversent à l’improviste, même des années plus tard, et qui déclenchent des tics nerveux. Il paraît que tout le monde n’a pas ça.

Lumière !

Zao Wou-Ki, Ciel – 12.01.2004, 2004, Huile sur toile, 250 x 195 cm, Collection particulière.

Je rentre dans les rues gelées, je suis épuisée, comme si l’épuisement des autres finissait par m’écraser, épuisée physiquement, mentalement, je cherche à m’accrocher à ce qui a du sens : ces colonnes de densité, les processus de perte d’énergie, les termes sources que j’ai griffonnés sur un papier dont il faudrait calculer l’intégrale. Je me sens très rouillée dans la physique mais ce fil-là est salvateur. Je suis au milieu du naufrage familial, des mails de l’école encore, dans des complexités et tristesses ambiantes. Je suis prête à me laisser couler, à arrêter de surnager, laisser filer la lumière. J’écoute le Requiem de Fauré du début à la fin – c’est si pur mais ça n’aide pas.

Et soudain, ce message qui surgit comme un sursaut gamma : « Quel feu d’artifice cette avalanche de billets sur ton carnet aujourd’hui ! J’espère que tes autres lecteurs apprécient autant que moi l’éblouissement que créent toutes ces touches de couleurs illustrant ton chemin dans la vie. Merci ! »

De quoi me figer au milieu de la rue gelée. Gelée. Mais si brûlante de l’intérieur. Je ne sais pas s’il est même possible d’expliquer l’effet que fait un tel regard, une telle lecture et un tel retour sur mes textes. C’est comme si, dans ce partage et cette résonance, en cet instant-là, mon existence prenait tout son sens. Comme si je pouvais maintenant mourir car mon but était atteint. J’aurai écrit et j’aurai été lue. Que demander de plus ? L’ai-je seulement mérité ? Non. Et pourtant je suis là, alors il faut faire, être, écrire encore mieux. Continuer à vivre et à aller vers les lumières. Je ne me trompe pas de direction, je crois.

Son : Le leitmotiv de la journée, impossible de s’en lasser, toujours la même grâce avec Gabriel Fauré, Requiem, Op. 48 : VII In Paradisum, 1890, Paavo Järvi, Orchestre de Paris (2011).

Tous les sursauts gamma de l’Univers et le rayon luminaires du Target

Pour ne pas terminer la journée sur une note trop sombre –l’ombre, j’ai décidé d’arrêter pour le moment, rien de tel que la lumière, et s’il faut j’achèterai tous les sursauts gamma de l’Univers et le rayon luminaires du Target pour éclairer cette vie. Pour terminer ma journée sur une note lumineuse, disais-je donc, deux remarques :

  1. Cette angoisse associée à A., et les crises d’angoisses de l’été dernier, les ombres associées à ma vie quotidienne et familiale, plus rien ne semble m’empêcher d’écrire. Rien ne m’assèche, bien au contraire. Chaque chose qui m’arrive, chaque chose qui me travaille, tout pousse et dégouline au bout de mes doigts, comme autant de mauvaises herbes ou de jus de chaussette. Plus j’écris, plus la gymnastique des mots se développe, et plus j’ai besoin d’écrire. Je n’ai jamais été aussi persuadée qu’écrire est mon essence.
  2. Mais j’ai fini par comprendre que la science m’est aussi nécessaire, car elle allume une partie différente de mon cerveau. Elle m’apporte l’équilibre parfait, me permet de funambuler entre jubilation et respiration. Et je ne crois pas avoir pris le temps de conclure ici, bien que cela fait quelques mois : cette crise existentielle de la quarantaine est terminée. Mieux : elle a abouti.

À tous ceux qui m’ont ramassée à la petite cuillère, qui m’ont écoutée ou lue – y compris ici – rabâcher encore et encore les mêmes inepties lourdes, sans fond et sans sens, à ceux qui m’ont nourrie dans mes errances et m’ont accompagnée avec tant d’amitié, de constance et d’amour – merci.

Son : Heather Nova, London Rain (Nothing Heals Me Like You Do), 1998.