Cyrano

Toujours cette diction étrange, une rythmique qui me semble inappropriée au bout des vers, probablement un parler jeune que je ne saisis pas. De même l’articulation me semble hasardeuse, et heureusement que je connais le texte quasiment par cœur pour le deviner et l’apprécier (mais ce n’est pas le cas de mes enfants).

Mais quel texte, vraiment, qui brasse à grandes goulées les émotions, tout ce que Hollywood a repris, les ingrédients sont déjà là. Et le jeu, la mise en scène dans une modernité discrète. Les chants gascons épurent les lignes. Ne restent que les tripes, la salle Richelieu suspendue. Je suis aveugle d’un œil et totalement floue des deux, prête aux picotement des eaux, aux sanglots des veines.

Cyrano de Bergerac (Acte III). Le baiser de Roxane la scène du balcon. Illustration anonyme de 1898 pour la pièce d’Edmond Rostand, avec Coquelin dans le rôle titre. Coll. Jonas/Kharbine-Tapabor

Menino

Yo-Yo Ma et Kathy Stott.
Menino de Sergio Assad dans son arrangement violoncelle – piano
et le Cantique de Nadia Boulanger
Il dit en français [Yo-Yo Ma est né à Paris et y a vécu jusqu’à ses sept ans] : je dédie ce concert à la collaboration, et à la musique qui se construit sur les épaules des géants, la passation… Ils jouent Fauré, qui a enseigné à Nadia Boulanger, qui a enseigné à Kathy Stott.

C’est leur dernier concert ensemble, et ils ont choisi avec soin, dit-il, des morceaux qui évoquaient des moments forts.

Menino, délicat ciselage de nostalgie et de folklore ; Sergio, je l’imagine les yeux clos devant le lac Michigan à perte de vue, assis, vide, sur sa chaise. Puis le moment où, une guitare entre les bras, dans cette posture courbe et tendre, il se mue en musique.

Je transmets le message de Yo-Yo Ma à Andromeda, qui me répond Wow, Sergio est très touché.

Et ainsi, depuis ma place au 2ème balcon, à côté de l’oreille toujours appréciative de A., ce bout de fil insolite tendu de la Philharmonie de Paris à l’autre bout du monde, d’auditrice et interprète au compositeur ; de création à envolées et réception.

Sons : Sergio Assad, Yo-Yo Ma, Menino, in Obrigado Brazil, 2003
Nadia Boulanger, Yo-Yo Ma, Kathryn Stott, Cantique, in Merci, 2024

Sergio Assad, Yo-Yo Ma, Kathryn Stott & friends

ERC Synergy – le roman fleuve [final]

Dernier jour. L’heure limite est à 17h.

8:00-12:00 J’ai soumis une trentaine de fois les documents, avec de micro-changements. Ce n’est pas du tout stressant comme processus et comme responsabilité.

12:00 : Bref appel visio avec J., mon collègue de Santiago de Compostela, qui me dit de belles choses.

13:00 : Je décrète que c’est fini. Je ferme mon ordinateur et j’entraîne les enfants dans Paris.

14:00 : Je change ma liasse de Yuans, dépose la somme à la banque, puis avisant les Éditeurs, juste à côté, nous nous y installons, parmi les livres et les tatakis de thon.

15:20 : En fin de repas, je zyeute le fil ERC et lis un message de S. : « La figure 4 dépasse de nouveau dans les 2 cm de marge. » C’était il y a 40 minutes. J. et O. ont déjà répondu que ce n’est probablement pas très grave, laissons comme ça. Mais quelle naïveté de ma part, je suis dans Paris, je n’ai pas mon ordinateur. Et c’est moi qui ai bougé cette figure ce matin, car S., en voulant la remettre dans les clous, avait effacé une ligne de texte.

15:25 : Je dis aux enfants : je suis désolée pour notre programme, mais il faut qu’on rentre. Ils me regardent déçus, alors je leur explique : voilà, ça fait un an qu’on travaille pour une sorte de concours avec S., O. et J. C’est pour ce travail qu’on est partis en famille en Pennsylvanie. Ça fait un mois qu’on ne dort pas pour écrire ce truc. Et là, vous voyez cette petite ligne qui dépasse ? Eh ben ça peut nous faire perdre le concours. L’heure limite, c’est dans 1h30.

15:27 : K. et A. enfilent leurs manteaux et fermement : Ok, on rentre.
Alors, on saute dans le métro. K. me dit : Oh là là, c’est stressant !
Et puis soudain, j’ai cette pensée : mais si je cafouillais à la dernière minute ? Si j’enlevais le fichier déjà soumis, mais que le site ralentissait et que je ne pouvais plus charger le nouveau ? Je m’en ouvre aux enfants : c’est trop dangereux, ça peut être pire. Ils opinent. On descend du métro à la station suivante. K. demande : « Mais tu es sûre maman ? » Et A. de répondre : « Mais oui, imagine qu’elle ne puisse plus rien soumettre du tout ! Une année de travail ! »

J’écris à O., j’écris à J. : que faire ? le mieux est l’ennemi du bien à ce stade, non ? J’ai peur de tout faire exploser si je touche à la soumission.
O. répond : mais oui c’est bien comme ça, moi je vois même pas où ça dépasse.
J. répond : Yes, let’s leave it like this. Too close to the deadline.

Je clos tant bien que mal le chapitre dans ma tête [mais j’en rêverai la nuit, de cette demie-ligne qui dépasse sous une figure… et que notre dossier est rejeté à cause de ça.]

16:00 : En longeant la Tour Saint Jacques, A. me demande de quoi il s’agit. J’avise la plaque, et lis : « De cet endroit […] partirent depuis le Xe siècle des millions de pèlerins vers […] Saint Jacques de Compostelle. » Je prends mes enfants en photo devant la plaque et les envoie sur le fil : « I had never realized that this is the way to J.! I think it’s a good sign. »

16:37 : J. écrit : « 23 minutes before the portal closes. I think I’ve heard this before in a scifi movie. »

Mais je ne vois son message que plus tard. J’étais entrée pour la première fois dans la Galerie d’art Mizen, où s’expose Gesine Arps, et le galeriste italien nous racontait l’artiste, les tableaux et son fils. Plus tard, je m’achetais des chaussures, pendant que les garçons patientaient avec leurs livres. Puis dans le rayon papeterie du BHV, ils ont raflé tous les stylos legami possibles, et surtout les collectors de Noël. Et des pinceaux en crin de cheval pour K. et de la gouache extra-fine. Des beignets fourrés à la crème pâtissière pistache.

18:10 : Il y a beaucoup de cœurs quand je rouvre le fil ERC, dans le RER bondé. J’avais écrit : « Au moins une petite chose bien se sera passé sur Terre aujourd’hui. » Parce que le réveil était difficile et toujours aussi incompréhensible. Mon attaché scientifique à l’ambassade de France à Washington, m’écrit : « Félicitations pour ta nomination aux J.O. » et j’en profite pour lui demander comment ils encaissent, eux, leur nouvelle plus préoccupante.

18:30 : Nous croisons ma doctorante M. dans les rues de ma ville de banlieue. Elle a une banane et des petits pois. J’ai deux paires de bottes, plein de livres et de legami. J’ai trois collègues avec qui on a monté et soumis un très beau projet. J’ai deux enfants qui ont fait partie du roman.

Son : Marie Awadis, Étude No. 1: Playing Games, in Études Mélodiques, 2024.

Quelques couleurs croisées sur le chemin vers le final du roman fleuve Synergy.

Gesine Arps, Città al colore del sole, 2024
Saint Germain des Prés, nov. 2024
Celle-ci, repérée à quelques mètres de mon laboratoire le lendemain de la soumission. Un chemin direct mène de mon institut à celui de J. Comme la vie est pleine de signes quand on en a envie.

ERC Synergy – le roman fleuve [convergences]

Ou lorsqu’un projet colle à votre cerveau et devient un mode de vie inéluctable. Le roman fleuve, j’avais commencé à en faire la dégoulinade ici.

Au retour, après mes 6h de transit à Prague, je sors du RER dans ma ville de banlieue. Il est 16h et je dis à P. que je vais me mettre dans mon café hipster à côté de la gare, parce que je si je rentre, je vais m’effondrer, et je ne peux pas me le permettre. J’ai 40h de voyage dans le corps, mais un grand latte me donne assez d’énergie pour faire le point au téléphone avec l’administratrice qui gère le dossier, parler relativement calmement avec elle des derniers mouvements de budget, de ne pas criser quand J. d’un coup se rend compte que ses doctorants vont lui coûter 80,000 euros de plus et que nous dépassons la limite… D’écrire tout ce qui manque et couper le texte de O. trop long, à grands coups de ChatGPT.

Je rentre chez moi en disant que je vais m’arrêter mais je m’arrête à peine. O. m’envoie des fichiers depuis le métro, il vient d’atterrir de Pékin avec un trajet encore plus long que le mien.

Mais en soirée, les dernières lettres manquantes sont là, dont celle du gouverneur de la province de San Juan, Argentine.
J’envoie des émoticons débordants à mes collègues argentins ; ils me les retournent.
Le budget est bouclé.
Tout est bon. Il ne reste plus qu’à fignoler.

J’ai tout relu. J’écris aux trois autres : « It’s really good, no? » et S. répond, une heure plus tard, « I’ve gone through everything and made some small edits. I agree, Electre. It’s really good. »

San Juan vue du ciel, avril 2022

ERC Synergy – le roman fleuve [filigranes]

Ou lorsqu’un projet colle à votre cerveau et devient un mode de vie. Le roman fleuve, j’avais commencé à en faire la dégoulinade ici [légèrement édité depuis].

Mes billets précédents en donnent la ponctuation, la présence implacable de ce projet à chaque réveil, chaque heure manquée au sommeil, et sur lequel le soleil ne se couche plus [sic O.].

Dimanche 20 novembre : au fond d’une église dans le 13ème, je suis venue écouter mon amie contrebassiste, et je découvre Norfolk Rhapsody de Vaughan Williams, que depuis j’écoute en boucle, jusque dans les grottes de Mogao. Le son, curieusement, me semble coller à cette Chine de la route de la soie, quelque chose d’exotique et d’immense. Peut-être à voir avec le vent et l’horizon. Eau ou sable. J’ai la tête pleine de proposal ERC, mais l’orchestre est assez bon pour me permettre cette parenthèse. À l’entracte, je dégaine malgré tout mon ordinateur et termine une figure que j’insère dans le document, à temps pour écouter la suite (Karelia de Sibelius, encore une découverte).

Son : Ralph Vaughan Williams, Bryden Thomson, London Philharmonic Orchestra, Norfolk Rhapsody No. 1, 1906 (En fait l’ignoble souffrance de l’apprenti du capitaine… mais je préfère mon interprétation.)

Bruyère dans mon jardin, oct. 2024

Mogao

Et finalement je vois les grottes de Mogao. Un peu trop rapidement à cause de l’imminence de mon vol, mais dans les conditions idéales d’un site quasi vide, en basse saison.

Grotte 17, cette salle minuscule cachée dans le mur d’une grande chapelle, c’est là que les manuscrits de Dunhuang ont été trouvés, dont la première carte céleste connue de l’Humanité. Une salle l’air de rien, peinte de verdure, la statue de l’érudit assis au centre, une sorte de brique poreuse tapissant le sol. C’est là que Paul Pelliot et Aurel Stein se sont assis avec leurs bougies en 1907 pour faire leur sélection de rouleaux à acheter (à prix ridicule).

Je n’arrive pas à comprendre, l’émotion et le silence qui s’entre-choquent dans ma tête, là où bruissent trop de dates limites et de tâches urgentes, et le manque de sommeil.

Je circule en électron libre parmi les bouddhas gigantesques et millénaires, la profusion de couleurs dans des centaines de salles obscures – je peine à saisir la démence et le trésor. Il me semble que c’est incongru, ces trous dans les falaises (horriblement défigurés pour les touristes d’ailleurs) peints et sculptés sur des centaines de mètres au milieu du désert. Dehors, le silence et le jaune métallique des feuilles sur la rivière, l’implacable bleu pâlissant des déserts et le sec du sable dans l’air.

Je m’assoupis dans la navette qui me ramène au centre, dans les dix minutes de taxi jusqu’à l’aéroport, les vertiges s’accumulent dans les vertiges, de temps, d’espaces et de cultures. À Xi’an, je remercie Pf, qui me tend un gros paquet de billets chinois – le remboursement de mon vol.

Je cherche un café, je m’arrête au Duty Free humer un parfum, et je ne perds pas plus de temps, parce qu’il faut encore de nombreux items à compléter pour soumettre notre ERC – et construire la suite du détecteur, à la chasse aux messagers du ciel violent de Dunhuang.

Grottes de Mogao, nov. 2024
Grotte de Mogao, cave 17, nov. 2024

Mission sur le terrain [4]

Les derniers événements sur le terrain nous empêchent de rentrer samedi après-midi comme prévu. Nous ravalons tous notre frustration, et heureusement le luxe d’une douche chaude, ce filet d’eau précieuse qui s’échappe du ballon et dessable ma peau, mes cheveux ; et le fumet du hotpot pour notre dernier festin, tout cela nous apaise. Sous les néons, nous faisons l’inventaire des antennes et des bullet WiFi, et Pf inscrit les chiffres sur une feuille de papier, en chinois et en anglais. Il me dit : « Alors pas de Mogao Grottoes pour toi cette fois-ci ? Mais je suis sûre qu’il y aura d’autres occasions. » Nous travaillons sur les données coïncidentes et sur l’ERC jusqu’au petit matin, O. a ce bon mot : « It was a good thing we came to the field: with S. in the US and J. in Europe, the sun never sets on this proposal. » Je dors quelques heures. Juste avant le dîner, j’ai remercié Ty, le staff local, j’ai pu le payer d’une rallonge supplémentaire, on s’est serré la main très fort, et je lui ai dit toutes les choses élogieuses que Pf a traduites – il faut vraiment que je travaille le chinois. J’ai expliqué pour les ordures à rapporter à la ville et non brûler. Je sais son rôle crucial, sa connaissance de ce que nous faisons logistiquement, ses connexions dans la région, ses capacités d’action. Peut-être que je suis venue ici pour ces quelques minutes à jouer la porte-parole internationale ; pour ce moment dans les buissons à ramasser tous ensemble le plastique, parce que je refuse que ce que j’ai imaginé il y a dix ans avec O. aujourd’hui se traduise dans de la crasse volant au vent ; pour ce moment où j’ai dit au jeune B. paniqué d’une foule de messages dont il se croyait la cible : continue ton travail, c’est super ce que tu fais, toute la collaboration t’est reconnaissante, et de traduire derrière en off à certains collègues la situation épineuse. Je suis venue pour tout ça, pour savoir ce que ça veut dire quand les données arrivent dans le centre de données de Lyon, pour savoir décrire l’émulsion de la science qui prend sur les croûtes de sable.

Quand nous rentrons le lendemain à l’aube, le dernier lever de soleil dans l’air glacé et l’immensité plane. Nous traversons les petites montagnes colorées, et les chèvres-antilopes nous observent fixement avant de détaler en bondissant avec leurs fesses blanches.

Dernier lever du jour à Xiaodushan, nov. 2024
Sur la route du retour de Xiaodushan, nov. 2024

Mission sur le terrain [3] : Jay Chou dans la nuit du Gobi

Sur la route la nuit, les cahots du pick up, la tête qui heurte le toit de l’habitacle, et les épaules ballottées entre celles des deux jeunes ; Fufu conduit et met Jay Chou en fond sonore. B., doctorant à l’enthousiasme et au dévouement débordants, me confie : « I love Jay Chou. » Il a passé la journée à courir entre la machine d’acquisition de données et le talkie walkie posé dehors pour capter, et Pf qui s’égosille : « Bohao ! Bohao ! » en baladant le beacon juché sur un 4×4, pour prendre des mesures jusqu’au pied de la montagne d’or. Le soir tombant nous avons grelotté dans le container qui nous sert de salle de travail d’appoint, en attendant qu’une voiture vienne nous chercher. O. m’avait donné comme mission de faire le log des données prises, et j’ai essayé dans mes temps morts de mettre à jour le diagramme de Gantt de notre demande ERC. F. a réussi à faire parler les bullets aux bons rockets. Et les throughput tests sont excellents, bien au-delà de ce que nous espérions. Nous savons que le dîner nous attend, à base de légumes inconnus et de viandes revenus dans des épices inconnues, des lawasa [orthographe hasardeuse], les nouilles locales en forme de poissons. Nous allons reprendre des forces et nous y remettre, dans une nuit glissante et de chaos. Alors ce quart d’heure – il fait bon dans le pick up, et nous sommes ensemble, à nous laisser bercer par la soupe de Jay Chou et à voir les monticules de sable se dérouler dans les phares, notre base de vie blanche perçant l’obscurité.

Son : Jay Chou, 青花瓷 (Blue and White Porcelain), 2007

Jay Chou, Blue and White Porcelain, clip, 2007

Mission sur le terrain [2]

Mais c’est dur, le terrain,
aride, ce paysage qui, finalement, toujours laisse mon cœur dans une étrange immobilité. Tout est plat dans un horizon perdu, et les traces de voitures qui sillonnent le sable semi doux, une croûte de crème brûlée. J’ai honte que nous soyons ceux qui abîment et zèbrent ce paysage.

Dur, quand dès la première fois que je propose mon aide, le collègue chinois me demande si je peux préparer le thé. C’est probablement le prix à payer pour avoir demandé la Electre’s room, une chambre particulière 5 étoiles, deux lits-planches doubles, sur lesquels poser un matelas de camping. Rideaux aux fenêtres et même un petit chauffage nocturne au gaz, pendant que les hommes se réchauffent entre eux, dans un préfabriqué voisin. Les chinois sont aux petits soins, et c’est aimable. Mais on m’enlève aussi les outils des mains, on s’étonne quand je grimpe sur les toits, que je porte des antennes à bout de bras.

Dur de ne pas être une expérimentatrice rodée – P., X. et J. m’ont alimentée en outils avant de partir, et toute la collaboration s’active par-delà les fuseaux horaires, pour plancher sur les problèmes. Je convertis des fichiers, les exporte d’une machine à une autre, je sors des spectres, des coïncidences de signaux entre antennes, mais les choses vont si vite, et je ne suis pas assez habituée pour être tout à fait utile. Pire – mon envie de mettre la main à la pâte brouille mes positions, mon statut, mon caractère.

Amusant, le terrain, quand je participe au montage d’une série d’amplificateurs, au vissage des vis minuscules, sur une table d’électronique. Amusant aussi de monter à l’arrière du pick up entre la nouvelle et l’ancienne station, vingt minutes de montagnes russes véritables sans autre attache que ses bras. Amusant et excitant bien sûr, cette moisson de données à éplucher au soir, et le miracle qui fait que nous avançons, que tout se met en place, que tout finit par marcher. [Le miracle de O. ?]

Le cuisinier fait des mets fabuleux. Il crée et étire des nouilles blanches au bout de ses doigts et de ses bras. À manger dans des bols jetables en plastique, et des baguettes de bois tout aussi jetables, qu’ils brûlent dans le sable un peu plus loin. Pf propose de réserver une heure en fin de séjour pour ramasser les ordures jonchant tous les buissons alentours, tout ce que nous avons pollué et qui me fend le cœur.

Nous dormons quatre heures par nuit grand maximum. J’écris en parallèle de la mission des lettres de recommandation, mon éditeur m’envoie le bon à tirer de mon livre à vérifier. Le roman fleuve ERC continue – avec un réseau intermittent frustrant, au milieu de la nuit avec O. ; et J. qui m’écrit : « I am so thankful » et qu’il se voit grimper les Andes avec des antennes à dos d’âne. À trois heures du matin, les yeux éclatés dans mon duvet, je jette en vrac des phrases dans un fichier : je ne veux pas vivre cette mission à moitié, alors il faut l’épingler avec des mots.

Je suis épuisée.

Orion et la belle Galaxie toutes les nuits, à regarder lors de ma sortie obligée.
Le soleil sur le visage le matin des rougeurs.

Son : Steven Gutheinz, Beyond the Lens, in Beyond the Lens, 2020

L’incongru portail ciselé et doré de notre base de vie et de travail donnant vers les montagnes XiaoDushan au loin. Octobre 2024.

O-deux

Dans la furie cosmique –
mes yeux disent stop, et ma cornée rayée
fait pleurer de jaune fluo ma façade droite

Dans la furie cosmique –
heureusement
il reste toujours un ourlet de pantalon à coudre
l’aiguille pique et coulisse
la ligne noire du fil
son frottement effleuré au passage qui tire

Dans la furie cosmique –
les petites mains chaudes
ravies de battre le mascarpone avec le marronsuis’
quand j’annonce :
« On va faire un pavlova aux figues »

Mitchell Zeer, Iris Photo