Au réveil, je m’aperçois que mon vol n’est pas aujourd’hui mais demain, et je me retrouve avec une journée sur les bras. Temps magnifique, les cerisiers sur leur fin, je vais me promener sur la berge de la rivière Sumida, mange diverses bricoles, et puis… sans prévenir la solitude me renverse. Soudain la ville bruissante de monde me happe et me propulse dans l’absence de sens. Où que je me tourne, je me sais si bien accompagnée et pourtant il n’y a personne qui peut remplir ce manque-là, ce début d’angoisse qui trace une ligne jusqu’aux confins de la mort, aux petites heures silencieuses de la vieillesse, aux inutilités des jours vécus, l’Univers s’étale et m’échappe comme une immense nappe de vide.
Je ne retrouve un semblant de paix qu’au moment où je m’installe sous les grands arbres des jardins du Musée National de Tokyo, que je dégaine mon ordinateur, et que je travaille. Les pétales de fleurs de cerisiers échouent sur mon clavier, leur fente rosie, leur pointe blanchie, la lumière qu’ils captent dans l’ombre. Je repense à cette conversation avec M.-l’élégant, qui me disait :
« It’s terrible how I don’t know anymore what to do with free time. Seems like work has become the only way to fulfil myself. »
Je lui avais répondu, pour faire ma maligne :
« I don’t know anymore what to do with myself. »