L’envol

Jusqu’à trois heures du matin, c’était le délire. Un étrange délire, et je me suis couchée hagarde, dans un entre-deux, sans autre sensation que celle du flottement et de l’inachevé, alors que pourtant…

À midi, après toutes mes réunions visio dans la cuisine, je sors dans le grand soleil, chapeau, robe et lunettes noires. Sur le perron, je trouve un colis. C’est mon kit Arduino qui vient d’arriver. Quel timing, me dis-je.

Je lève les yeux vers le nid de petits oiseaux rouges qui se sont installés sur notre façade, juste à côté de la porte d’entrée. Depuis un mois nous avons observé avec ravissement les cinq œufs bleus éclore, des machins aux gros yeux bouffis et sans plumes se blottir les uns contre les autres, les ailes pousser, les becs déjaunir. Aujourd’hui, quand je m’approche du nid, d’un coup toute la flopée s’envole dans un merveilleux bruissement.

J’aurais pu pleurer pour ce moment-là, vous savez. Que les oisillons choisissent ce jour, ce jour particulier qui fait suite à cette nuit particulière, pour s’envoler. C’est toujours ces incroyables aléas de la vie que je veux interpréter comme des signes. Le signe qu’il faut continuer à magnifier cette vie – que je ne me trompe pas de lentille, de direction.

Son : La voix profonde magnifique de Tokiko Kato, 時には昔の話を (Tokiniwa mukashino hanashiwo) qui clôture l’un des plus beaux films existants : Porco Rosso, de Hayao Miyazaki, 1992. Toute ma vie j’ai cherché à rendre cette impression-là : la fin, la non fin, la suspension, la nostalgie et les espoirs, les commencements de tout.

Pennsylvanie, mai 2024 © Electre

Boréale

22h30. Je découvre les nouvelles. Je bondis hors de mon lit où, en pyjama, je m’étais installée pour écrire quelques lignes de mon chapitre. Nous réveillons les enfants, leur enfilons un pull, leur doudoune, les embarquons dans la voiture ; au matin, A. me dit qu’il a rêvé qu’on était partis à la chasse aux aurores boréales, que nous avions roulé longtemps dans la nuit, dans les forêts et les montagnes.

Les nuages blanchissent le ciel, illuminé à l’horizon par notre petite ville universitaire. Il pleut par intermittence. Ce serait un miracle que nous voyions quoi que ce soit.

Mais les miracles, ça nous connaît, P. et moi. Alors, lorsque j’applique mon iPhone sur l’obscurité, vers la trouée entre les arbres, au nord, sur notre crête, les photons violets emplissent mon écran.

J., à qui j’envoie mes quelques prises, me parle de Rothko et du mystère de mes images, ce qui finit de les sublimer. Ce qu’elles contiennent, surtout, c’est ma surprise au moment de leur révélation. Elle n’ont aucune qualité, je n’ai même pas cherché à les stabiliser, mais l’étonnement imprimé est leur intérêt.

Dans la voiture, ensuite, alors que nous roulions sans succès à la recherche d’une éclaircie, je faisais remarquer à P. que ça faisait un sacré paquet de photons tout ça, pour que ça diffuse, même à travers les nuages, et que ça emplisse la surface minuscule qu’est le capteur de mon iPhone. « Alors que nous, on cherche à détecter 3 neutrinos de ultra-haute énergie. Et même un seul, ce serait la folie. »

Son : Peter Gregson, Time, in Touch, 2015

Aurores boréales en Pennsylvanie, 10 mai 2024 © Electre

Pascale

Ai terminé au petit matin, à 4h30, cet étrange chapitre. Maintenant l’attente – de celui aux yeux bleus (mon éditeur) qui dira si oui ou non ce délire a sa place dans le livre. Je ne suis pas douée en attente, le manque de sommeil et l’anxiété m’alanguit, hérisse mon humeur.

Faire de la physique. Voilà ce qu’il faudrait. Devant la triste image qu’ont les gens de leadeuse organisée, inspirante et énergique, la seule réponse, finalement, plutôt que de m’en plaindre serait d’agir. Je n’ai pas envie d’être Jésus – mais respectée comme physicienne. Au demeurant, ils ont raison : il n’y a rien à respecter, puisque je ne calcule plus, ne code plus, et que, paraît-il, je ne comprends rien aux détails techniques de mon expérience.

Journée lente de Pâques toute consacrée aux garçons et à moi-même. Mes enfants sont formidables – je remarque qu’ils prennent soin de moi, de ma fatigue, de mon humeur changeante, ils boivent ce que je leur partage, et me fichent la paix. Ils ont tant de créativité en eux, à composer leur musique, écrire leur roman, à me dire : « Si je ne l’avais pas composé, mon morceau n’existerait pas, et je ne pourrais pas ressentir son émotion. C’est pour ça que je compose. » Je leur fais découvrir les dédales infinis de la bibliothèque universitaire, les rangées de livres à la Escher qui recèlent de trésors de la littérature française. Nous repartons avec Eluard, Verlaine, Duras et les essais de Gracq recommandés par J., dans un sac Monoprix qui me scie l’épaule.

Sur un banc, pendant que les garçons font des voltiges en trottinette, d’une traite je lis Le Vice-consul de Duras. Aspirée naturellement dans une continuité de langueur, oh le rythme chanté des phrases, chaque page comme un poème dur, et la triple couche d’ellipses sous la chaleur humide de Calcutta.

Hier soir, la dame kazakhe qui fait le ménage chez nous, nous avait invités à la pièce de Pâques de son église. Reconstitution de la Cène, trahison de Judas, crucifixion. C’est assez bien fait et j’écoute d’une oreille chaque apôtre conter son personnage, pendant que l’autre partie de mon cerveau songe à Feynman et aux ondes gravitationnelles. Le sermon final du prêtre, qui joue Judas, est hérissant (« Si vous sortez d’ici sans croire en Dieu, vous irez en enfer comme moi, Judas, et c’est horrible. »). Dans la voiture au retour, je fais mon propre sermon dégoulinant aux enfants, au son de Chopin par Martha Argerich.

« C’est vous qui décidez de ce que vous êtes, ce que vous faites, dans le flot des circonstances extérieures, malgré et grâce à la sérendipité de la vie, c’est à vous de construire ce qui vous semble juste. Vous déciderez si vous voulez croire en un dieu, si vous voulez être heureux, malheureux, de votre cheminement. Mais rien ne vous l’impose, c’est votre liberté. » Je doute qu’ils en comprennent grand chose, mais je leur dis tout de même, puisque je les ai bassinés avec Sartre et Beauvoir toute la semaine : « Je crois que ça ressemble à ça, l’existentialisme. »

À la fin de ce long week-end de quatre jours, douchés, nourris, chocolatés, nous sommes tous les trois très fatigués. Mais je crois très heureux.

Son : Frédéric Chopin, Prélude No. 6 in B Minor, in 24 Préludes, Op. 28, par Martha Argerich, 1986.

Leonardo da Vinci, Ultima Cena, 1494-1498, à l’église Santa Maria delle Grazie, Milano

Bellefonte

J’aime beaucoup Bellefonte, ce coup de cœur de Talleyrand, coquet vestige industrieux tout en briques, aux anciennes cheminées d’usine et aux moulins suspendus sur une rivière gonflée de printemps. L’eau et les rails se faufilent entre les collines appalachiennes, dans des bois aux consonances amérindiennes. Chasse aux œufs pailletés sous le déluge (disons plutôt une session de football américain dans un champ de boue parsemé de boules en plastique, à saisir dans la bousculade et les larmes – mais quel carnage et quelle étrange notion de Pâques), un aller-retour dans une vieille locomotive restaurée par la société des chemins de fer historiques, et pour finir, latte et chocolats chauds dans un café bobo, à lire Feynman, pendant que les garçons travaillent leurs manuels de français. La paix et la merveilleuse compagnie.

The Bellefonte Central Railroad: (gauche) Un train BCRR quitte State College, circa 1910; (droite) Conducteur George R. Parker et son « bateau » à la station BCRR derrière l’ancien Main Engineering Building.

C’est donc pour ça que j’ai fait des enfants [3]

« En somme, tu te fais chier, » conclut ma sœur, que j’appelle au milieu de sa nuit, les mains dans la vaisselle. Elle n’a probablement pas tort, ces derniers temps, à part ce chapitre qui luit comme une galaxie naine dans un vide cosmique, je n’ai rien à me mettre sous la dent, c’est la grande disette vibratoire. Pire : toutes mes interactions professionnelles sont de l’ordre de la crispation ou du naufrage, les problèmes pleuvent les uns après les autres, et j’ai absolument zéro aura, rien ne fonctionne, au mieux je ne sers à rien, au pire je rajoute de la friction.

P. est parti se requinquer à Paris, manger du saucisson et du fromage, installer l’arrosage automatique dans notre jardin – et travailler avec son doctorant.

C’est heureux : je peux pleinement utiliser mes garçons pour faire semblant de vivre un roman. Dans la journée, ils sont pleins de bonne volonté, et suivent les trames du quotidien que je leur ai tracés, pour ne pas me laisser déborder. Le soir, nous nous installons sur le lit de A. et c’est l’heure des partages.

Hier, c’était un chapitre de Surely You’re Joking Mr Feynman! en anglais dans le texte. Aujourd’hui, c’était des bouts du Rivage des Syrtes, des paragraphes à la volée pour camper le paysage, les lagunes, la froide amirauté de pierres dans la brume, la guerre figée avec le Farghestan, la rencontre avec Vanessa. Demain, ce sera Kean. Leur curiosité est piquée, ils ne veulent pas que je m’arrête. K. (six ans) affirme qu’il va lire tout seul la suite des mémoires de Feynman. A. veut savoir si la guerre va se remettre en branle dans la mer des Syrtes, et je me dis que s’il était meilleur lecteur (dans deux-trois ans ?), je lui fourrais Gracq entre les mains, et lui conseillerais de sauter toutes les descriptions pour aller se rendre compte lui-même*.

[C’est donc pour ça que j’ai fait des enfants – pour résonner ensemble la première fois que je pleure en lisant Electre, la première fois que j’écoute Sibelius dans la forêt enneigée, et pour cheminer avec eux à travers tous ces mondes, et retrouver de quoi m’abreuver, me nourrir.]

*J’ai bien conscience du sacrilège. Les descriptions dans le Rivage : évidemment l’essence onirique de ce texte, sans lesquelles il serait littérairement plat comme un pavé de Tolkien. Mais si mon fils s’intéresse à Gracq, je suis prête à accepter qu’il n’en lise qu’une page sur cinquante.

Le processus d’écriture [2] : l’iceberg

Au cours des longues heures de route vers le Sud puis vers le Nord, lorsque la nuit s’est faite et les petites oreilles endormies, je disserte sur mon livre. P. m’écoute faire ma maïeutique, ponctuée de moments de silence dans lesquels je me plonge pour digérer les conneries que je viens d’énoncer, avant de me lancer dans une nouvelle vague d’enfonçages de portes ouvertes. [Je me dis, quelque part en arrière-plan : c’est grâce à cette écoute merveilleuse, à la fois active et non intrusive que je suis devenue la personne que je suis.]

On parle de Hemingway et de son processus d’écriture en iceberg : n’écrire que la pointe et laisser le lecteur broder sur le reste immergé. Hemingway le pratiquait à outrance sèche, ses phrases si dures, brèves, rincées jusqu’à la fibre. La découverte de ce format m’a bouleversée, à seize ans, quand Mrs Cox, ma prof de lettres anglaises, nous l’a décortiqué avec son Canary for One.

Je dis que je n’ai aucune envie d’écrire à la Hemingway, je tiens trop au lyrisme pour cela. Mais l’ellipse, encore une fois, il n’y a que ça de vrai. Alors cette épiphanie : ce chapitre 10 que mon éditeur dit si réussi, c’est un iceberg. Je n’ai pas le droit de faire de l’ellipse dans mon style puisque mon éditeur me martèle que le lecteur va avoir du mal et que je ne dois pas oublier qu’il s’agit d’un livre de science. Mais l’ellipse, elle est ailleurs. Elle est dans le fait que pour écrire ce chapitre, j’ai lu un roman, deux essais, une pièce, un nombre incalculable d’articles scientifiques et biographiques, autant de bouts de carnets de Karl, passé des nuits à re-dériver des équations, et surtout, j’ai vécu et interagi. L’incroyable nourriture qui a construit ce chapitre, c’est la partie immergée. Car à la fin, seules une dizaines de petites pages en sortent, bien arrangées, bien construites, bien étayées, avec des informations sélectionnées et déposées sur un fil conducteur simple. Mais ce qui donne sa richesse et sa profondeur au texte, c’est, je pense, que moi, autrice, au moment de l’écriture, étais consciente de tout le foisonnement qu’il existait à chaque nœud, à chaque mot. Lorsque que je choisis de citer Karl sur cet instant de sa vie, je sais qu’il y a eu tous les autres dont je n’arroserai pas le récit. Lorsque je choisis d’expliquer l’équation d’Einstein avec certains mots, je sais dans les coulisses le jeu de ses termes. Mais à la fin, c’est au lecteur de construire son propre chapitre, et d’élaborer à partir de ces quelques indices.

Mon chapitre 3 a été le premier sur lequel mon éditeur s’est enthousiasmé, et a posteriori, je me rends compte qu’il a été nourri de façon similaire. Ce qui change dramatiquement cependant, entre le chapitre 3 et le 10, c’est qu’il s’est passé huit mois, dans cette année de ma vie où les jours comptent triple. Ce qui était timide, non assumé, et presque par accident dans le chapitre 3, c’est de la construction maîtrisée, dans le flot magique de la sérendipité de la vie, qui habite le chapitre 10.

Si ce sont là les ingrédients pour écrire bien, que va-t-il se passer maintenant que j’ai besoin de dormir et que je veux poser/reposer mon âme ? Aurai-je assez de nourriture pour la constitution de tous mes icebergs ? Si je vois moins de personnes, si je lis moins, voyage moins, cours moins, si je suis moins illuminée et allumée et tarée, est-ce que c’est encore possible de sortir des choses dans leur justesse elliptique ?

Faire l’apologie de l’ellipse dans des propos pseudo-littéraires ras les pâquerettes, dans une série de billets-roman-fleuve de trois kilomètres de long, c’est aussi ça la classe.

L’Observatoire neutrinos IceCube, situé à la Station Amundsen-Scott du Pôle Sud, constitué d’un bloc de glace de un kilomètre cube instrumenté, sous la surface, de filins sur lesquels sont accrochés des photomultiplcateurs. L’illustration représente une simulation dans laquelle un neutrino traverse l’instrument et allume des signaux sur les détecteurs. Crédit photo : IceCube Collaboration/NSF

Impro du soir

Ce soir dans un jazz-club à Charleston, la chanteuse à la voix réconfortante, le bassiste, le batteur, et puis le pianiste sur lequel mes garçons s’extasient. Je ne pourrai plus jamais écouter d’impro piano jazz un peu mélancolique sans être transportée dans une non-réalité. Sans y entendre des bribes d’autre chose. Dans ces rêveries musicales à la coloration nostalgique, surgissent d’autres murmures, d’autres phrases et d’autres mots tissés entre les notes, cette lecture d’une page d’âme, le court-métrage d’un battement de cœur.

Son : Anthony Jackson, Michel Petrucciani, Steve Gadd, September Second, in Trio in Tokyo, 1999

Neuf alligators-supernovae dans les wetlands de Savannah

Le premier, c’était une surprise, entre une écluse et un monticule herbu, en marbre noire et lisse, le dos battu par une spartine qui ployait sous la brise. On se demandait même s’il était vivant.

Le second flottait dans l’eau, parmi les roseaux ocres, dos sombre et long, et les yeux comme des protubérances qu’on repérait à distance.

Le troisième et le quatrième étaient une mère et son petit, tout au bord de la route. La femelle mesurait bien cent vingt centimètres, son protégé à peine cinquante. Quand nous nous rapprochons, elle ouvre son œil de verre – l’un de ces calots noirs de la cour de récré – et surtout la gueule. Nonchalamment. On peut compter ses dents.

Le cinquième était un jeune, mais déjà émancipé, au visage finement dessiné, accoudé sur une branche au milieu d’un étang fleuri, déposé sur une nappe de ciel bleu. Très photogénique et pittoresque.

Le sixième n’était pas loin : un mâle énorme, affalé sur une butte verte, lourd, puissant, noir, et au mouvent lent. La respiration lui soulève imperceptiblement le ventre. Quand il remue une patte, nous nous réfugions dans la voiture.

Le septième était déguisé en feuilles mortes de l’autre côté de la rive boueuse.

Les huitième et neuvième : des rondins bruns à contre-jour sur une digue de boue et de sable. Les pauvres, étant loin et arrivant tard, ont eu une attention et des cris de joie limités.

Si l’on rapporte la taille des wetlands en bordure de Savannah à un cube d’Univers de 300 mégaparsecs de côté, le taux d’occurrence des alligators est similaire à celui des supernovae à effondrement de coeur : une dizaine par jour.

Gators 3 et 4, Savannah, mars 2024
Gator 5, Savannah, mars 2024
Gator 6, Savannah, mars 2024

Wadmalaw Island

Sur des dizaines de kilomètres, la route est un tunnel de chênes qui s’embrassent, enguirlandés de grappes de Spanish moss, dans une enfilade de verdure gris sombre, à mi-chemin entre la profondeur et le fantomatique. Sur des dizaines de kilomètres, les bas-côtés sont noyés d’eau noire, les marécages émeraude alternent avec des grandes demeures à colonnades et les mobil homes rouillés. Tout au bout, au bout des terres et du monde, on débouche sur des langues de mer, et cette cabane de pêcheurs de tôle et de cordages, à l’eau salée tapissant le béton ; j’y dépose mes ballerines avec précaution, et troque un sac de crevettes pêchées du matin contre un billet.

Leur goût sucré, la fraîcheur de leur texture croquées sous la dent, lorsqu’on leur fait la fête, tous les quatre face aux lampées de mer, à les éplucher et les déguster crus, seuls au bout du monde sur une passerelle de bois. Le bonheur parfois a le goût de crevettes crues. Je prends note que pour atteindre le niveau supérieur, je devrais toujours me balader avec une fiole de sauce de soja et un pochon de zestes de yuzu.

Cherry Point Seafood, est. 1933, sur Madmalaw Island, mars 2024.

Vacances !

La route vers le Grand Sud – de nuit – est longue : le temps de lire à voix haute des articles sur John Wheeler et ses 46 doctorants de Princeton en traversant la Virginie occidentale, de disserter sur le principe anthropique en traversant la Virginie, d’écouter tout Nina Simone en traversant la Caroline du Nord, du Charleston des années 20 en traversant la Caroline du Sud.

Pour le déjeuner, je déniche un take away sur la route dans une cahute désolée, et nous mangeons des collard greens, du yellow rice with gravy, du fried chicken et du smothered pork chops, le tout accompagné de corn bread, cuit dans les fourneaux d’une dame du Great South.

À la bouffée humide de l’air à la sortie de la voiture et au contact de la nourriture sur les papilles, je suis envahie de ce sentiment de me retrouver, sous forme d’une madeleine dont je n’identifie toujours pas la source. J’ai cherché longtemps : un mélange d’Atlanta, d’Italie, de nos vacances en Catalogne à la sortie du confinement, notre road-trip vers la Louisiane au moment du volcan islandais… Et ce luxe rare d’être partie avec une todo-list réduite à zéro, d’avoir mis un répondeur automatique sur mes mails. En plein mois de mars. Improbable.

Tout étant parfait, y compris les garçons, qui sont des modèles de petits voyageurs curieux et flexibles, j’en profite pour être stressée, odieuse, rigide, pour être saoulée par les commerçants, les petites situations ratées, pester toute la journée et être de mauvaise humeur. Tout ce que j’ai arrêté d’être dans la vie (?), d’un coup, j’ai une envie irrésistible de le déverser dans les marais de Caroline du Sud. C’est donc ça, les vacances…!

Son : [Je n’allais pas vous épargner ça !] Phénoménale Nina Simone dans, Sinnerman, in Pastel Blues, 1965.

Angel Oak Tree, Johns Island, South Carolina. L’arbre aurait 400 ans.