Sur la bipolarité, puisque c’est à la mode – voici la série du 1er mai, premier volet.
Son : [pour les changements de rythme, les saccades et les envolées lyriques, le clair-obscur, cette image musicale du cerveau, dans sa constante fabrication de connexions neuronales] Kerry Muzzey, Andrew Skeet, The Chamber Orchestra Of London, The Architect, 2014
Quand l’hypomanie se dissout, c’est une curieuse combinaison d’obscurité et de lucidité. « C’est chiant d’être normale, » je martèle avec insupportable suffisance à mes plus proches collaborateurs qui connaissent ma condition. Ils ont la diligence d’en rire et de m’assurer que le changement ne se voit pas.
L’obscurité : je repense aux murs tendus de mille connexions par Carrie, l’héroïne bipolaire dans Homeland. C’est cette clairvoyance géométrique qui m’apparaissait il y a quelques jours encore, dans toute pièce où j’entrais, quelles cartes jouer et quand, c’était évident. D’un coup les lignes se sont évanouies. Je patauge dans un horizon limité de compréhension, avec un cerveau qui tourne au ralenti.
Avant, chaque interaction avec chaque personne me paraissait juste. Aujourd’hui le doute à chaque mot prononcé, je m’interroge sur ma légitimité, l’âme des gens ne m’apparaît plus comme un son ou un parfum. L’impostrice m’embrasse et m’enlace, perce et perle par chaque écaille de mes cheveux, de ma peau.
Lucidité, cependant : parce qu’on ne peut pas vivre toujours déjanté et en imaginant que le réel est une veine parallèle, quasi-accessoire, pour abonder la fiction.
Et c’est bien, ces oscillations. Parce que la veine de la semi-fiction nourrit la fibre de ce que nous sommes. Parce que vivre, c’est se nourrir, vivre, construire et écrire et vivre. Devenir folle permet de lancer tous ces chantiers-là. Et la normalité d’ancrer plus précisément les fondations dans le réel. Pour qu’au prochain envol, on ne parte pas dans le décor. Qu’on sache toujours revenir à la vie et profiter de toutes ses facettes. Je ne le dirai jamais assez, à ceux et celles qui m’accompagnent inlassablement et me supportent et me font confiance dans ces gradients abrupts, l’air de rien : merci.
