La vie comme un roman (2) – esthétique de la rencontre

D’abord, je remarque l’armoire du Collège de France, en entrant à gauche dans son bureau. Ensuite, quelque chose de pertinent et d’agréable dans le dialogue. Lui, c’est le directeur technique du laboratoire qu’on me propose de diriger. Il avait étudié mon CV et le projet G. assez en détail pour que la discussion soit fluide et les perspectives appétissantes. Je note d’emblée que nous partageons une quête scientifique commune, un entichement pour Andromeda – et un goût pour les vieilles armoires en bois. Il m’explique l’équipe de soixante ingénieurs et techniciens qu’il dirige et je noircis deux pages de notes.

D’où exactement je lui révèle ce qui me plaît dans le genre de poste : les jeux stratégiques et le sentiment d’exister par utilité pour la communauté, et puis l’impossible décryptage des signes lorsqu’ils se répètent, je ne sais pas. D’où il me confie qu’il a le même âge que moi, qu’il s’est posé des questions similaires au moment de sa prise de poste il y a six mois, des choses un peu plus personnelles aussi – ses parents, son éducation –, je ne sais pas non plus.

Mais ensuite il dit : « En fait j’écris des livres et je ne savais pas si ce serait compatible, » et c’est une sorte de fin et de début de tout.

Laborieusement, je tente une échappée vers la réalité :
« Des livres de science ? »
Il s’agit forcément de livres de science, engoncés dans de la méthode scientifique, sans poésie, avec de longues pages de schémas et de pédagogie. Mais non :
« Des livres pour enfants. Des romans. Là je viens de signer chez Actes Sud. »

C’est le moment où l’étrangeté et l’éblouissement sont à leur summum, comme s’ils avaient convergé à cet étage impersonnel de la fac, dans ce laboratoire dont je viens explorer les contours ; je m’étais arrêtée depuis un certain temps de prendre des notes, mon macbook reposait sur mes genoux, sur ma robe bleu marine de potentielle directrice, et mes doigts levés sur le clavier ont un hoquet.

J’avoue dans un souffle :
« En fait, c’est ça ma vraie crise existentielle. Je ne sais pas si je peux prendre la direction de ce laboratoire parce que j’écris des livres. »

Nous avions chacun des obligations à l’heure du déjeuner et nous étions tous les deux en retard. Nous sortons de son bureau sonnés – c’est son terme. Plus tard, lorsque nous échangeons des messages pour convenir d’un dîner pour continuer la conversation, il y a un point virgule dans sa première phrase.

L’espoir

Mon premier réflexe par pudeur est de ne jamais livrer ici les réalités humaines, les véritables évènements de la vie. Et puis je me dis malgré tout : si je ne l’écris pas, si je ne pose pas ici la mémoire et les moments qui m’habitent encore, à quoi sert mon écriture ?

Je pense à Chandrasekhar qui est allé à son premier grand entretien avec Eddington le lendemain de la mort de sa mère, vide et dans une tristesse infinie, loin d’elle et de toute sa famille restée à Madras. Les berges du Cam. Les pelouses de Trinity College. Dans une mesure différente, je me rends chez mon éditeur, à un rendez-vous où je compte lui poser une question cruciale, deux heures après la mort de ma grand-mère.

Parfois, c’est très simple, cette tristesse de la perte. Au Japon, on a ces phrases intraduisibles pour accueillir les souvenirs apaisés, dire que cela devait arriver, que c’est ainsi, et se tourner vers l’avenir. Énoncer les petites choses qui ont rendu ce moment plus facile même dans la douleur, et dire une forme de gratitude à la chance, à la vie. On n’entasse pas le malheur, on le brosse avec la conscience des morts qui continuent à vivre en nous, et la lueur que cela nous procure.

En avril dernier, j’ai revu ma grand-mère à Tokyo. Je n’y étais pas retournée depuis quatre ans, covid oblige. À quatre-vingt quinze ans, comme pour les jeunes enfants, c’est une éternité. On m’avait dit qu’elle ne réagirait pas, qu’elle serait absente. Mais elle m’a vue et elle s’est illuminée. Elle a écouté A. jouer du piano tout en secouant ses doigts en rythme, agité la peluche que K. lui avait apportée comme une marionnette. Elle souriait, elle nous voyait. J’avais pleuré longuement en sortant de la maison de retraite, sous les longues grappes de glycine parfumées, dans le soleil, je pleurais d’une sorte de joie, je pense. D’avoir reçu, d’avoir donné. C’est pourtant vrai que c’est tout ce qui fait sens dans cette vie.

Mon éditeur est la première personne à qui je parle, après avoir eu la nouvelle. Il me sert un verre d’eau et la douceur de ses mots. Il dit de mon chapitre sur Chandrasekhar : bravo ! Ensuite, je prends une grande respiration et lui pose ma question.

Il dit : je ne vois pas d’obstacle dans cette Maison d’édition. Je veux bien t’accompagner, même, s’il y a un peu de science dedans, et si tu es d’accord. J’écarquille les yeux : pour un roman ? Et lui : Oui, et tu te feras aussi aider par des éditeurs littérature bien sûr. Au final c’est ton choix : il faut te demander ce que tu as envie de faire. Si tu as envie d’écrire, il faut foncer. Il termine par des phrases dont je ne me rappelle plus le déroulé exact, j’ai eu un black-out : une histoire de talent qu’il serait dommage de gâcher – et « je te dis ça simplement, sans volonté aucune de t’envoyer des fleurs ». Je n’ai rien d’autre que ma spontanéité à lui proposer en réponse : « tu sais que quand je vais sortir d’ici, je vais pleurer ! ». J’énonce, raconte des choses, des choix, des vieux rêves dans une sorte de flot vaguement maîtrisé. Il me sourit de ses yeux bleus. Je ne comprendrai jamais pourquoi toujours avec lui tout est simple.

Il me raccompagne à l’entrée, c’est l’heure du déjeuner, ça circule beaucoup, je croise un grand auteur connu en train de signer ses piles de livres. À la porte, mon éditeur me présente à une femme élégante. La directrice, me dit-il. Et à elle : « Voici Aile Ectre. Elle est en train d’écrire le livre dont je te parlais sur ***. » Elle me sourit, me sert la main chaleureusement : « Bienvenue dans la Maison. » Puis : « Alors, ça va être un livre un peu angoissant ? » Je réponds : « Oh non, au contraire, ça va être plein d’espoir. »

Chandra transatlantique

Kameshwar C. Wali, Chandra, a biography of S. Chandrasekhar

Mon éditeur me dit : « Cette histoire de Chandrasekhar sur son bateau qui construit sa théorie, tu devrais la développer, t’en servir comme trame. » Je fais la grimace : c’est re-sucé, bateau (justement), tout le monde la connaît ! Il me répond que c’est la première fois qu’il en entend parler, et qu’il n’a vu en ligne qu’une seule biographie traduite en français. Tout en moi se tend contre la suggestion et je me bats : je ne connais rien à Chandra, alors que tant de vivants l’ont connu. Je vais me faire lyncher si j’en fais un personnage… et j’ai secrètement la flemme de faire de la biblio en plus pour comprendre cet épisode d’Histoire des sciences, alors que j’ai bien assez à lire avec mes histoires de masses stellaires…

Mais l’idée fait son chemin malgré tout, parce qu’il faut croire que j’ai fini par acquérir un peu de cette qualité dont mes parents disaient toujours qu’elle manquait cruellement à mon répertoire : 素直 (sunao), terme intraduisible littéralement (non, ça ne veut dire ni docile, ni obéissant, c’est beaucoup plus fin). Je pense que le plus proche serait : « à l’écoute ». Avec le temps, j’ai fini par comprendre qu’à la position où je suis, je peux me permettre, et je dois même toujours d’abord écouter, faire le tri dans mon cerveau, puis prendre une décision en fonction. (Je n’y arrive pas toujours…)

Et puis, dès mon premier jour à Paris, je suis allée chercher les romans de Jérôme Attal que j’avais commandés en librairie, et La petite sonneuse de cloches traite de Chateaubriand (encore et toujours ces coïncidences : j’adore me promener dans la maison de Chateaubriand juste à côté de chez moi, le quartier favori de l’auteur est le même que le mien – je me promenais encore aujourd’hui sur ma place de Furstemberg en me demandant si je n’allais pas le croiser)… Écrire, me dis-je, c’est aussi se sortir les doigts et faire de la bibliographie !

La bio de Chandrasekhar est publiée sous Chicago University Press et coûte la modique somme de $37. Et je la veux maintenant, dimanche soir à 23h. Googlebooks ne permet la consultation que des 66 premières pages, et Chandra n’a pas encore embarqué dans son bateau. Je cherche partout un pdf qui traîne illégalement, peut-être que la bibliothèque de mon institut l’a en catalogue, ou alors celle de l’Observatoire de Paris. Prise d’inspiration, je regarde dans le catalogue de mon université pennsylvanienne. Bingo ! Le livre est non seulement disponible, mais la bibliothèque de physique est ouverte le dimanche après-midi… Or avec le décalage horaire, à 23h à Paris un dimanche, il est encore 17h là-bas. C’est P., vaillant chercheur-historien-des-sciences sur le terrain qui va le dénicher expressément, parce que, vous comprenez, l’écriture n’attend pas. Il traîne les garçons, dont un qui hurle à la mort, se procure la bête, et m’écrit Victoire. Il m’envoie la photo des pages qui me manquaient.

Ce que j’y lis est incroyable. Tout ce qui était bancal dans mon chapitre va trouver sa place. Ce qui est dit est si beau que j’en ai les larmes aux yeux. Ça aurait été dommage de me priver de tels ingrédients. Quelle aventure et quelle ivresse, l’écriture d’un livre.

Scattering process

J’aimerais parfois m’expliquer comment j’ai mérité que la vie m’offre ces ribambelles d’interactions merveilleuses. Chacune est spéciale. Intense. Et pourtant simple. J’aime pénétrer dans les locaux de cette grande maison d’édition et être entourée de photos d’auteurs actuels, passer deux heures à trouver des solutions pour mon chapitre avec mon éditeur. Pouvoir lui dire très simplement combien j’apprécie son accompagnement dans cette construction, et la tendresse de cette main effleurée sur mon épaule au moment où il me laisse au métro. Ce déjeuner italien avec mes anciens doctorants, C., V., qui tout de suite m’embarquent sur leur « crise existentielle post-recrutement ». S. leur demandait naïvement (car il soutient sa thèse dans dix jours) : « C’est quoi ? » et C. de lui répondre, sur un ton de grande sœur : « C’est quand tu as bossé comme un taré des années dans l’objectif d’avoir un poste, et qu’une fois que tu l’as, il faut trouver un vrai sens à ta vie. » V., mon Winnie l’Ourson à lunettes, incroyable de compétences et de capacité à embrasser les nouveaux défis, nous énonce avec sérieux et nonchalance : « Peut-être que le sens de ma vie, c’est d’être en connexion avec ceux que j’apprécie, et de me sentir à ma place parmi eux. » Je me retiens de lui répondre, en référence à ma nippo-américaine N. : « You are so French! » Et C., cheveux roses, voix douce et ferme, toujours dans une force presque au bord de la brisure, qui lâche : « Dans cette équipe G. parisienne, avec vous, pour la première fois, j’ai eu le sentiment que je pouvais baisser la garde. » Nous étirons notre déjeuner aussi loin que le permet l’horaire de notre prochaine réunion. À la conférence qui se tient à mon laboratoire, je croise des collègues qui m’embrassent avec effusion, dans les pauses café, je n’arrive pas à atteindre la table des victuailles dans mon processus de marche aléatoire. Un dîner avec L., lumineuse comme jamais, dans le chatoiement hypnotisant de ses longues boucles d’oreilles, avec qui il est question de ce viscéral que nous partageons. Comme ma sœur, elle cautionne le surgissement continu de l’écrit dans ma vie, elle dit : moi aussi j’aime la beauté d’éteindre une bougie et je l’apprécie intérieurement au moment où je le fais, mais toi, tu as les outils pour l’exprimer, et c’est génial. Dans la fraîcheur du sous-sol, sur une table d’électronique, au milieu de câbles, de boîtiers d’acquisition G., pendant que la canicule bât son plein sur les dalles de Jussieu, j’ai enfin ma longue discussion de rentrée G. avec O. Nous prenons les points un à un, dans notre efficacité retrouvée, et j’aime quand, entre deux items, nos regards se croisent, et je lui dis tranquillement : « C’est vraiment trop bien de travailler ensemble. » Et il répond : « Grave. » K. m’appelle de sa petite voix gracieuse au milieu de la nuit : « Mamaaa ! », un fil qui semble irréel mais qui est l’ancrage à la réalité. Longuement je discute avec P. de mes aspirations et leur potentialité, le téléphone, ça change toujours un peu la couleur des confidences, même après vingt ans de couple, puis on bifurque sur la qualité des routines i/o des données G…. À la sortie du Fumoir, assises devant l’église Saint Germain l’Auxerrois toutes les trois : A., sa contrebasse, moi, dans une nuit encore si chaude, je lui dis : « Tu me fais penser à la douceur du début du printemps. Et on sent qu’il y a quelque chose derrière à quoi on n’accède pas. » Elle me répond en riant : « Bah moi non plus, je n’arrive pas à y accéder. » Nous rions mais elle a les yeux pleins de larmes.

Au bureau, au Rose Reading Room

New York. J’ai un peu plus de trois heures devant moi avec cette ville, immédiatement j’aimerais m’y noyer. À la sortie de Penn Station, d’avenue en avenue, la crasse, la brique, les aciers, quelque chose de viscéral et les foules qui passent sans se saisir, anonymes et réelles. Quand je penche la tête pour finir mon cappuccino, l’implacable géométrie des pierres sur un ciel métallique. Il fait un temps éclatant, la fraîcheur de Bryant Park, l’odeur âcre des bouches du subway, le battement du monde dans une ville sans sens, sans dimension, le corps à corps des classes sociales, je respire et regarde tout ce que je peux, j’appelle P. : « Un jour, il faudra absolument qu’on vienne vivre dans cette ville. »

Je ne comprends pas la flopée de touristes qui visitent le Public Library à travers leur téléphone, déambulant dans les couloirs comme dans un musée. Je court-circuite tout le monde, annonce tranquillement au gardien de la Reading Room que je souhaite travailler, ce qui me permet de remplir des âneries administratives du CNRS et lire les derniers progrès sur l’accélération de particules dans les supernovae, dans un cadre majestueux. Toujours ma façon d’accéder à la fibre intime d’un lieu : d’en faire momentanément mon bureau.

Bande originale : Emett Cohen, Dardanella.

Les fourmis déménagent

« Je suis bien content de ne pas te voir pendant deux semaines ! » me lance A. [sombre histoire d’ustensile de dînette qu’il ne veut pas partager avec son frère.]

「ママ、行っちゃだめ!」(mama, tu n’as pas le droit de partir) m’ordonne K. et c’est une petite boule potelée pleine de bouts de mouchoirs et d’eau salée, qui s’accroche à toutes les parties de mon corps. Pendant une heure, je reste dans son lit, à faire le détail de ses journées et des miennes, à répondre à ses questions sur mes horaires de vols et de transit. Finalement, après une dernière étreinte shakespearienne, il se dresse, l’œil pétillant, et m’explique : « Tu sais, aux États-Unis, comme il pleut beaucoup, les fourmis sont tout le temps en train de déménager. »

L’amour inconditionnel, c’est étonnant et bouleversant.

Ultramarine

Entre la description de deux destins d’étoiles massives, j’ouvre ce recueil de poème de Raymond Carver. Wow. Mais quelle claque. En plein dans la figure les séries de mots bruts et doux, la dépiction factuelle et elliptique à l’américaine, la solitude, la vie implacable et dure, la poétique du quotidien – ce besoin malgré soi d’une façon ou d’une autre d’esthétiser ce qui nous arrive et nous traverse, même et surtout si c’est banal et crasseux. La justesse d’un monde sans aucune illusion. Quelle découverte.

Mesopotamia

Waking before sunrise, in a house not my own,
I hear a radio playing in the kitchen.
Mist drifts outside the window while
a woman’s voice gives the news, and then the weather.
I hear that, and the sound of meat
as it connects with hot grease in the pan.
I listen some more, half asleep. It’s like,
but not like, when I was a child and lay in bed,
in the dark, listening to a woman crying,
and a man’s voice raised in anger, or despair,
the radio playing all the while. Instead,
what I hear this morning is the man of the house
saying “How many summers do I have left?
Answer me that.”  There’s no answer from the woman
that I can hear. But what could she answer,
given such a question?  In a minute,
I hear his voice speaking of someone who I think
must be long gone: “That man could say,
  ‘O, Mesopotamia!’
and move his audience to tears.”
I get out of bed at once and draw on my pants.
Enough light in the room that I can see
where I am, finally. I’m a grown man, after all,
and these people are my friends. Things
are not going well for them just now. Or else
they’re going better than ever
because they’re up early and talking
about such things of consequence
as death and Mesopotamia. In any case,
I feel myself being drawn to the kitchen.
So much that is mysterious and important
is happening out there this morning.

— Raymond Carver, Ultramarine, 1986

La vie sous toutes ses formes, en japonais

Haiku par A. (8 ans), “Pluie de printemps./ Héron, rivière, /et glace au matcha.”, 1er mai 2023, A.B-L tous droits réservés.

Enfin, nous nous échappons avec K. en plein après-midi à Elixr pour causer vie & science. K., c’est mon frère de thèse japonais, depuis bientôt quinze ans nous nous retrouvons de par le monde, entre nos hauts et nos bas. Peu de gens savent ses bas, lui qui publie deux papiers par mois et semble inatteignable de génie physique. Nous n’avions pas parlé vie depuis tant d’années, covid étant passé par les parages pour nous empêcher de nous croiser. Je me demandais si nous allions retrouver notre intimité, et puis dès que nos cafés sont devant nous, il me dit : « Bon, c’est quelque chose dont je n’ai parlé à personne ici, donc tu gardes ça pour toi, mais… » et de me conter le bazar absolu de sa vie. Ça allait de soi, après ça, de lui déballer ma crise existentielle ; le tout en japonais, ce qui étonnamment, donne une nouvelle coloration à la chose.

J’aime beaucoup quand il me répond qu’à notre niveau de carrière, il est légitime de se poser la question d’avoir une contribution différente des résultats scientifiques. Qu’il est important de transmettre, et qu’il me fait confiance pour le faire avec mon « talent » (?). Ça résonne un peu avec le message de N., quand il me dit que lui-même déteste écrire, mais qu’il est entré dans la physique avec ces livres-là, qu’il faut continuer à inspirer les gens.

J’ai si peur, en écrivant ce livre grand public, d’être mise au pilori par mes collègues, j’imagine d’ici Hector n’en penser pis que pendre, les théoriciens se dire que ma science est terminée, les jaloux m’étiqueter de prétentieuse en plus d’opportuniste et carriériste, j’ai peur de toutes les critiques sur les personnages, ceux qui s’estimeront mal cités, pas cités, mal remerciés. Je sais que de toute façon, je n’écris pas ce livre pour mes collègues (de toute façon les physiciens ne lisent jamais ces livres), mais bel et bien pour le public. Mon éditeur me le rappelle quand parfois je ripe. Mais ces propos, de N., de K., qui me soutiennent comme amis et comme collègues du domaine, comme si je faisais un acte nécessaire, que moi seule pouvais mener à bout, c’est tellement précieux.

Joie et collègues

C. installant une antenne G. à Malargüe, Argentine. O. tous droits réservés.

La jubilation : ce moment de reprise que je redoutais un peu – c’est tellement plus facile de glandouiller toute la journée et la nuit en lisant ou en écrivotant – je retrouve mes collaborateurs dans la réunion G., le délice de les entendre commenter des spectres auxquels je ne comprends pas grand chose (ni moi ni personne en fait), la présence de notre néerlandais C. posée et rassurante, retrouver la gouaille de O., la brillance charmante de B., M. et F. toujours pertinents et fiables. Deux réalisations qui me font terriblement plaisir : i. ces gens se sont approprié ce projet, et le portent en eux (presque ?) autant que moi, ii. j’ai toujours en moi cette envie de science.

Ensuite, je me pose une demie heure dans un café-librairie avec un cappuccino, et je trace les contours de ce nouveau chapitre, avec Chicago en ligne de mire. La façon dont les mots sortent est un petit miracle, une joie que je contiens à peine.

J’échange quelques lignes avec ma magnifique Ka., embourbée dans un amour impossible, et elle a cette belle phrase : « You only show your vulnerable self to people who matter to you. They should be honored to get this insight. »