Lumière !

Zao Wou-Ki, Ciel – 12.01.2004, 2004, Huile sur toile, 250 x 195 cm, Collection particulière.

Je rentre dans les rues gelées, je suis épuisée, comme si l’épuisement des autres finissait par m’écraser, épuisée physiquement, mentalement, je cherche à m’accrocher à ce qui a du sens : ces colonnes de densité, les processus de perte d’énergie, les termes sources que j’ai griffonnés sur un papier dont il faudrait calculer l’intégrale. Je me sens très rouillée dans la physique mais ce fil-là est salvateur. Je suis au milieu du naufrage familial, des mails de l’école encore, dans des complexités et tristesses ambiantes. Je suis prête à me laisser couler, à arrêter de surnager, laisser filer la lumière. J’écoute le Requiem de Fauré du début à la fin – c’est si pur mais ça n’aide pas.

Et soudain, ce message qui surgit comme un sursaut gamma : « Quel feu d’artifice cette avalanche de billets sur ton carnet aujourd’hui ! J’espère que tes autres lecteurs apprécient autant que moi l’éblouissement que créent toutes ces touches de couleurs illustrant ton chemin dans la vie. Merci ! »

De quoi me figer au milieu de la rue gelée. Gelée. Mais si brûlante de l’intérieur. Je ne sais pas s’il est même possible d’expliquer l’effet que fait un tel regard, une telle lecture et un tel retour sur mes textes. C’est comme si, dans ce partage et cette résonance, en cet instant-là, mon existence prenait tout son sens. Comme si je pouvais maintenant mourir car mon but était atteint. J’aurai écrit et j’aurai été lue. Que demander de plus ? L’ai-je seulement mérité ? Non. Et pourtant je suis là, alors il faut faire, être, écrire encore mieux. Continuer à vivre et à aller vers les lumières. Je ne me trompe pas de direction, je crois.

Son : Le leitmotiv de la journée, impossible de s’en lasser, toujours la même grâce avec Gabriel Fauré, Requiem, Op. 48 : VII In Paradisum, 1890, Paavo Järvi, Orchestre de Paris (2011).

Se nourrir, encore et encore

Décembre 2023, dans une cuisine pennsylvanienne.

L’Amérique finit, je crois, de me rendre encore plus snob et élitiste. Le programme scolaire sans littérature, sans Histoire, sans cette veine culturelle qui court si fort en France me laisse dubitative. Comment peut-on laisser nos enfants passer à côté de ce que l’Humanité a fait de plus inutilement fondamental, de plus merveilleusement juste ? Comment peut-on se construire dans le monde actuel sans s’être fait conter les racines de notre ancienneté ?

Lorsque les petits esprits sont éteints dans leurs lits, je m’entoure de bougies, de tous les livres que je grignote, d’Earl Grey, d’alfajores qui font des miettes, je m’enveloppe de Stacey Kent et d’un plaid en laine ; et je savoure pleinement, comme rarement, d’avoir grandi dans l’élitisme français. Qu’on nous ai fait bouffer La Princesse de Clèves, Apollinaire, et des milliers de pages depuis les Pyramides jusqu’à la guerre froide.

O. au dîner l’autre soir m’a prise de court en faisant une blague sur Cassandre, puis en me sortant sa généalogie complète. Lorsque je lui lance : « La guerre de Troie n’aura pas lieu » il me répond du tac-au-tac : « Giraudoux ». Puis « Je suis en plein dans la mythologie grecque, j’adore ça, » et moi dans une surexcitation que je voile avec un ton docte idiot : « Oui, c’est d’une complexité et tellement actuel. Quand on lit ça, on voit que l’Humanité a à peine évolué. » Évidemment, O. ne sait pas que je m’appelle Electre.

En passant dans le bureau de Pa., je me suis retrouvée avec deux livres de Maxence Fermine dans les bras : « J’ai lu ces bouquins, ça m’a fait penser à toi. Pas besoin de me les rendre, je te les offre. » 

J’aime l’idée que l’on pense à quelqu’un en terme de livre, de musique, d’art en général ; lorsque l’âme a débordé et que l’artiste en a fait quelque chose, que nous puissions nous y identifier ou y trouver le reflet d’êtres chers. Mais pour cet exercice-là, il faut se nourrir, encore et encore, commencer au berceau, et ne jamais s’arrêter d’absorber ce qui a été créé.

Major Chord

Nous roulons par forêts dénudées et par collines au vert hésitant, à dix minutes de chez nous, vers une cabane de bûcheron abritant un steak house haut de gamme. Vingt ans que nous sommes ensemble. Cela me semble presque effrayant, ce major chord cher au saxophoniste Jimmy Doyle [De Niro] – et qu’il ne trouvera pas avec Liza Minelli :

A major chord is when everything in your life works out perfectly, when you have everything you could ever possibly want. Everything.

 Martin Scorsese, New York, New York, 1977.

Nous partageons des New York strips de circonstance, suite à des huîtres avec du Riesling d’Oregon (pas à la hauteur), et nous nous disons nos quatre vérités. En vérité, c’est effrayant comme nous fonctionnons bien ensemble. Notre installation en Pennsylvanie sans un seul accroc, notre capacité à toujours tout embrasser, nos envies de géographies ou de carrières, à nous attaquer aux problèmes main dans la main, notre connaissance fine de l’autre, l’emboîtement parfait de nos complémentarités.

Je sais le danger de nous reposer sur nos lauriers et je me méfie. Comme il est rassurant, cependant, de savoir pourquoi nous voulons continuer à construire ensemble. Et lorsque nous nous regardons, il y a encore tous ces mots gravés dans nos bouts de platine.

Son : Liza Minelli, You Brought A New Kind Of Love To Me, in New York New York, 1977.

Brooklyn Bridge, NYC, nov. 2023

Coriolis Night

Je lui avais proposé : « Retrouvons-nous sur la tombe du physicien qui a théorisé la force fictive, qui est, avec les rayons cosmiques, un ingrédient moteur de la dynamo galactique. »

C’est un jour parisien froid et blanc. Je l’entends arriver, ses pas sans hâte, presque hésitants, sur les feuilles humides. J’étais alors assise sur la stèle voisine, les doigts gelés sur mon laptop, en train de terminer mes transparents pour le grand oral de mon projet devant le laboratoire.

Les quinze heures suivantes sont suspendues, quelque part entre la science et la vie. Le temps de parler particules, la nuit est tombée, transformant mon bureau en un havre de bois doré ; dans la pénombre, nous nous faufilons dans les murs imposants de l’Observatoire, dans la salle Cassini qui égrène le temps.

Vers une heure du matin, nous quittons l’Ile Saint-Louis, et j’avise sur notre gauche le quai de la Tournelle. J’y ai passé plusieurs nuits ces derniers temps, à regarder en boucle la plus belle scène de l’histoire du cinéma. Je l’entraîne : « Viens, descendons là ! » Le quai a exactement la lumière du film : l’or, le cuivre ; et Paris nous entoure, noire et élégante, Notre-Dame brille dans ses échafaudages. Sur cette plateforme de danse, lisse et régulière, dans ses pierres orangées – je monologue, transportée, bien emmitouflée dans mes bottes, mes bas en cachemire, mon manteau cintré, les mains brûlantes. Je raconte la scène : Goldie Hawn en apesanteur, Woody Allen dans sa maladresse touchante, la perfection, et comment là-dessus je viens greffer la description du moment angulaire, du mécanisme d’accrétion et d’éjection, et que mon éditeur m’a dit que ça fonctionnait… Je parle, je parle, et un moment, je m’arrête, parce que je m’aperçois que tout s’est arrêté.

A. m’interjecte, la curiosité fusant de tous ses yeux et ses lèvres :
« Et ensuite ??
— Mais ensuite rien. Enfin, si, tout. Mais pas comme il se passerait entre deux êtres lambda. Simplement ce moment parfait, magique. »

Ma soeur rit : « Pfff… ta vie, c’est vraiment un film ! »
L. me dit tendrement : « Ta vie est un roman, ma chérie. »
Je leur réponds que oui, tellement, et j’aimerais que ça ne s’arrête jamais.

Son et image : Woody Allen, Everyone Says I Love You, 1996, extrait de la scène finale.

Le Domaine

Le château d’Arendelle, in Frozen, Walt Disney Studios Motion Pictures, 2013

Newark. À la porte d’embarquement, avec mon mauvais café, cherchant poussivement à préparer les transparents pour le grand oral de mon projet G. devant le laboratoire, j’essaie sans succès de trouver une musique saine à brancher dans mes oreilles. Tout me retourne. La tête entre les mains, je me demande : « Mon Dieu mais qu’est-ce que je fais encore ? » Qu’est-ce que je fais de ma vie et de celle des gens que je croise ? Combien de fois faudra-t-il que je fasse n’importe quoi pour comprendre qu’il faut être neutrino (faible section efficace) et non rayon cosmique (grande section efficace) ? Qu’il faut laisser les gens dans leur vie, arrêter de répondre à leurs cœurs tendus, sonder, tirer les fils, touiller, toucher, croire que c’est fabuleux pour eux comme pour moi, alors que toujours ça se termine en carnage ! J’assure que je suis fidèle dans mes amitiés et j’aime croire que c’est vrai – j’ai gardé tous ces horcruxes une fois apaisés, et cela s’est continué en de belles interactions. Chacune de ces histoires, chacune de ces personnes m’est chère, a une place très particulière, et j’essaie, au moment de la reconnexion, d’être toute à eux. Je voudrais tellement croire que je peux me diviser en une infinité et sautiller d’une résonance à une autre. Mais eux ? Quand on vient me chercher et que je finis par leur faire faire le tour du Domaine : les arbres tordus, la grande plaine scintillante, le château du romanesque, les tours de mots enfilés comme des étoiles à neutrons, le time lapse des journées à deux cent mille à l’heure, et le lac sans fond des réflexions étriquées… je crois que ça les fascine et les perturbe à la fois – comme moi. Et on ne peut pas me suivre dans cette folie-là. Certains ont claqué la porte, certains se sont arraché les mains sur les ronces, toujours ça a saigné, que ce soit chez moi ou chez les autres. Il n’y a que P. qui sait les grilles de ce Domaine mais qui ne fait que contempler de l’extérieur, il n’y rentre pas. O. ne sait pas et c’est heureux. J’ai peur du sang sur mes mains, du sang chez les autres, de tout briser, leur âme, la mienne. Et pourtant je continue, comme si les mots et les phrases étaient mon oxygène, comme si les vibrations étaient mon eau, comme si j’allais étouffer si je n’étouffais pas d’émotions. Je voudrais dire à tous ceux que je blesse dans le périple : Pardon. Mais ça ne suffira pas.

La vie : étrangeté et sérendipité

Tim Burton, Charlie and the Chocolate Factory, 2005

Je m’émerveille encore de l’étrangeté de la vie. Malargüe, le vent et le sable, puis NYC avec la promenade déphasée dans Memory Lane, ensuite N. m’écrit : « I awfully need to talk to you, » alors nous conduisons chacune deux heures un lundi après-midi pour nous retrouver à mi-chemin au milieu de nulle part en Pennsylvanie, dans la ville-chocolat Hershey, déserte et décorée pour Noël, dans un café qui ressemble à la hutte du Père Noël – seul havre de lumière et de chaleur au cœur de l’irréel. Elle m’a à peine embrassée qu’elle me lance : « Depuis que je t’ai retrouvée, c’est le bazar dans ma tête ! Et ton truc de la crise de la quarantaine, en fait ce n’est pas cool du tout ! » Écho intéressant à cet autre ami cher qui m’écrivait il y a quelques jours : « Avec toi, je me mets à brasser toutes ces pensées et idées qui se trouvaient dans mon subconscient mais sur lesquelles je ne m’arrêtais pas avant… » Je réponds, un peu penaude : « Sorry. I don’t know what’s wrong with me. I seem to do this to people. »

Je pensais à nos conversations avec L. et à toutes les connexions survenues cette année sur cette veine-là. Est-ce que, d’une certaine façon, je catalyse quelque chose dans mes interactions ? Nous sommes tous à la même phase de notre vie, là où les nœuds se défont et se nouent, là où nous avons assez vécu, assez grandi pour revisiter le passé d’un regard neuf, envisager le futur d’un pas différent. Évidemment, ce n’est pas moi qui déclenche ces tourbillons – un peu d’humilité, tout de même ! Tout simplement, je suis de passage et les doigts ouverts pour saisir les morceaux d’âmes qu’on me tend, proposer les miens en retour. Et c’est merveilleux.

Au retour, je roule dans la nuit, j’ai 200,000 pensées à la minute, 200,000 mots à écrire, je songe à la réunion visio de ce matin à quatre, O., T., S. et moi, la pertinence de la discussion, la douce connexion humaine qui baignait le moment. La perspective de penser les étapes suivantes de G. avec ces trois-là – cette nouvelle vibration.

Je roule, et il se met à neiger, les flocons filent vers le pare-brise, éclairés par les phares.

C’est incroyable, vraiment, la sérendipité de la vie.

L’appel

Tout est juste. Le grondement des trains sur Manhattan Bridge, la lumière de fin du jour qui tombe sur la verticalité de la ville, les flots de voiture et leurs phares comme les guirlandes le long du bras de mer.

Dès la sortie du métro à Manhattan, il faisait gris, froid, la foule et la densité minérale, la saleté des rues et les errances de gens bizarres, le bruissement montant et descendant de la ville, les touches de Noël comme des niches de féerie et d’irréel, c’était parfait. J’ai dit aux enfants : c’est exactement ça, New York, et ils avaient de grands yeux prêts à tout boire, des petits pieds prêts à marcher des heures sans se plaindre. J’étais dans cette euphorie contagieuse, et la journée a été un miracle, du début (en meeting dans les toilettes) à la fin (à écrire dans les toilettes).

Il y avait entre P. et moi une résonance scintillante, celle de ces grandes villes au bras desquelles nous nous sommes construits, main dans la main, écharpes contre écharpes, notre amour commun pour le froid citadin, les ficelles de lumières courant les journées courtes, nous nous regardions et savions que nous ressentions ce même appel. Nous savions très bien que, comme Chicago, comme Londres, comme Paris, New York est une ville qui ne se visite pas, mais qui se vit. Mon cerveau, toujours en quête de frénésie et de nouveaux rêves semi-idiots, saute sur le challenge et commence à y réfléchir…

L’île brisée

Je disais à P. ce soir, alors qu’on préparait une cranberry sauce pour la dinde, la purée de patates douces, la salade de pousses d’épinards aux noix de pécan… [When in Rome do as Romans do] : il faut vraiment que je termine ce livre et que je passe au suivant. Cette idée que nous sommes si seuls, chacun dans nos instituts, nos géographies, et que quand on se re-croise à ces conférences, à ces réunions de collaboration, le temps d’une nuit, d’un dîner, d’un café soudain on reconnecte, on se rassemble comme des pièces de puzzle, et que de cette façon si profondément humaine, on fait avancer la science… c’est cette notion-là que j’ai retrouvée cette fois-ci à Malargüe, et je me suis rappelée que c’est ça que je veux écrire.

Je repensais à cette belle phrase de Cocteau que m’avait offerte Jérôme Attal :

On travaille pour des frères mystérieux qu’on possède à travers le monde. Il y a une île qui est brisée, dispersée à travers le monde. Et, en somme, l’art est une espèce de signal, comme un mot d’ordre pour retrouver des compatriotes.

Peut-être que finalement, c’est la même chose en science comme en art.

Dephased

Moi : Je suis tellement déphasée que la première chose que j’ai faite en rentrant, est d’oublier d’aller chercher mes enfants et de me faire appeler par l’école…
Lui : Déphasé, c’est le bon mot. On est parti de cet endroit sec, plein de sable, immense, hors du temps, où tout se déroule lentement, et soudain en un clin d’œil (enfin, en 18 heures de transit) on se retrouve quelque part où il fait froid, vert, humide, dense. Sans compter le retour brutal à la vie familiale et les deux mille mails sur lesquels on a procrastiné. Mon cerveau n’arrive pas à processer cet écart. Je vais me coucher pour voir si demain, ça ira mieux.
Moi : Exactement. Perso, j’ai dormi quatorze heures, mais je peine encore à donner un sens à ce qui m’entoure.

Ce que je ne lui écris pas, c’est le bien fou que me fait cet échange. De lire mon ressenti par des mots d’autrui – en anglais, et dont je peux imaginer l’accent. Ce partage tissé sur deux semaines dont la silhouette subsiste par-delà les fuseaux horaires. D’avoir encore dans la tête tant de vent et de sable, ces lumières du couchant, ces nuages de Magellan, et de me sentir moins seule avec mes souvenirs.

Nobuhiro Nakanishi, Layer Drawing, Light of the Sunrise 2, 2012

Les connexions

Santiago Ramón y Cajal, Sphenoidal cortex, circa 1894, the Cajal Institute and the Spanish National Research Council

Lorsque j’arrive à l’aéroport de São Paulo, j’ai la gueule de bois d’avoir passé les deux dernières semaines ivre, pas que de Malbec, mais surtout de vent et de gens. J’ai du sable de la pampa partout. Dans les oreilles malgré les douches, dans tous les interstices de mon portefeuille, dans les coutures de mon sac, dans les chaussures, le téléphone. J’ai le coeur ridiculement ensablé des multiples découvertes humaines. Ces gens. Cette richesse, ces histoires vraies de la vie.

Les petits-déjeuners avec Ralph. M’échapper avec T. d’une session de présentations, aller faire voler son drone au soleil couchant ; ensemble contempler dans un silence serein les nuages-soucoupes et les longues ombres des touffes d’herbes dans la pampa depuis son oiseau mécanique à cent mètres d’altitude. Sentir ma main toute petite, serrée fort entre celles d’un collègue allemand, les yeux rougis par quelques compliments. Dans un bureau, pendant deux heures écouter une belle argentine déverser sa vie, sa fille, le père de sa fille, et toutes les joies et difficultés qui vont avec. « Pourquoi est-ce que je te raconte tout ça ? » s’arrête-t-elle d’un coup. Je me retiens de lui répondre : Oh c’est simple, comme dirait ma sœur, je dois dégager des phéromones cette semaine. La preuve ultime : pendant tout le dîner de collaboration Auger, un chat est resté accroché à mon siège.

À ce dîner, I. me confie, dans la pénombre, sous les arbres et à côté des moutons, dans l’odeur d’asado qui imprègne mon manteau : « Je crois que j’aime trop les gens. Ma mère me disait toujours d’arrêter de faire confiance. Mais on peut me blesser encore et encore, et toujours je finis par pardonner et trouver des excuses. » Je réponds que dans une certaine mesure, je suis comme ça aussi. Je sais les gens un peu noirs, un peu blancs, un peu gris. Et j’aimerais me concentrer toujours sur la partie blanche. Elle me sourit : « Exactement. Et tu sais, quoiqu’on en dise, je n’ai pas envie de perdre ça. » Je l’embrasse : mais oui, tu as raison. Il ne faut pas perdre ce regard, c’est notre qualité et non une faiblesse.

Je me rassois à côté de T. qui entre temps a fini son dessert. Plus tard, il m’attend pendant que je dis au revoir à tout le monde, dans d’étranges embrassades. Ralph me souffle : 7h demain pour le petit-déjeuner. T. et moi rentrons seuls sur une piste sableuse, dans la nuit noire. Il est une heure du matin. Orion comme un guide devant nous. Nous parlons de nos enfants et de choses sans importance, nous rions beaucoup. Il y a cette connexion douce qui nous soulève.

Je ne me lasse pas de voir les façades se morceler et révéler ce qui compte, au moment de ces ponts qui se tissent. La partie blanche et profonde des gens, qui me laisse surprise, éblouie, nourrie.